Les prouesses du fil prodige

N° 257 - Publié le 1 décembre 2014
© Bernard Legarff
Certaines toiles, dites géométriques, sont de véritables œuvres d’art. Si elles paraissent fragiles, la soie qui les compose est plus résistante que l’acier.

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À Rennes, deux physiciens s’intéressent de près à la soie d’araignée. Elle pourrait aider à repérer la maladie d’Alzheimer.

Il est fort, souple, plus résistant que le kevlar. De l’épaisseur d’un pouce, il pourrait stopper un avion en vol ! Le fil d’araignée ne cesse d’émerveiller les scientifiques.

 

Deux chercheurs du laboratoire de physique des lasers de l’Université de Rennes1, en collaboration avec un zoologiste de l’université d’Oxford, lui ont découvert une autre vertu : la mémoire(1).

« Lorsqu’il se tord, le fil d’araignée ne tournoie pas pour revenir en place, explique Albert Le Floch, il reste vrillé. Mais retournez voir le lendemain, il aura repris sa position initiale. C’est un fil à mémoire de forme. » Une qualité qu’il partage avec certains alliages de métaux, le nitinol, par exemple, souvent utilisé par les magiciens. À ceci près que les fils employés par les prestidigitateurs ont besoin de chaleur pour retrouver leur forme d’origine. « La soie d’araignée n’a besoin de rien, elle se remet en place naturellement », précise Olivier Émile.

Un fil indestructible

C’est en travaillant sur une expérience de physique, où ils utilisent le fil d’araignée pour sa solidité, que les deux chercheurs ont découvert ces étonnantes propriétés de torsion. Aujourd’hui, ils ont franchi les barrières des spécialités et s’intéressent à la composition biologique du fil. « Il est constitué de deux protéines, décrit Olivier Émile. L’une est dite en alpha-hélice, elle permettrait au fil de retrouver sa position initiale. L’autre possède une structure (bêta-amyloïde), en forme d’escalier. Elle résulte d’un mauvais repliement des chaînes d’acides aminés qui forment les protéines. » Responsables des légères oscillations du fil, les bêta-amyloïdes rendent également le fil indestructible ou presque. « Plongez-le une nuit dans une cuvette d’acide, il ressortira intact ! », affirme Albert Le Floch.

Repérer des traces d’Alzheimer

Ce qui constitue une force pour le fil d’araignée ne l’est pas pour notre organisme. Comme l’acide, nous sommes incapables de dissoudre les bêta-amyloïdes qui se forment dans nos organes. Or ces protéines se dupliquent et polluent. Chez les malades d’Alzheimer, par exemple, elles s’accumulent sous forme de plaques blanches dans le cerveau. Cause ou conséquence de la maladie ? La question est ouverte. Un neurologue de Harvard a également repéré des traces d’amyloïdes dans les yeux de souris frappées d’Alzheimer(2). L’expérience sur l’œil humain est délicate mais permettrait de repérer la maladie en amont. « Actuellement, le diagnostic arrive trop tard, alors que l’accumulation a pu commencer 20 ou 30 ans avant, confie Albert Le Floch, nous voudrions être capables de détecter les protéines même à de faibles taux. Notre projet est d’introduire des bêta-amyloïdes dans un cristallin artificiel, déjà utilisé pour les opérations de la cataracte, et voir si nous pouvons repérer ces mêmes traces. »



Pour tisser sa toile, cette Néoscona adienta fabrique plusieurs
sortes de fils. Certains sont secs et épais et servent de cadre,
d’autres sont enduits d’une substance collante pour attraper les proies.
© Bernard Legarff

De nouvelles perspectives

Pour mener à bien ce test oculaire, les scientifiques vont utiliser des fils d’araignées du jardin, mais aussi ceux fournis par DuPont de Nemours, une entreprise américaine spécialisée en matériaux innovants. « Ils nous ont envoyé un fil composé d’alpha-hélice uniquement, un autre de bêta-amyloïde et le troisième est un mélange. » Pour maîtriser la composition des fils, l’industrie fait appel à... des chèvres. Dans les années 90, intéressés par les propriétés de la soie, des ingénieurs sont parvenus à introduire dans les cellules mammaires de l’animal, dans les pis, les gènes codant pour la synthèse des deux protéines composant le fil d’araignée. Résultat : les protéines se retrouvent dans le lait après la traite. « Cela nous permet d’étudier le rôle de chacune des protéines séparément », ajoute Albert Le Floch, et d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche. »

Par exemple, sur les mécanismes de dissolution des bêta-amyloïdes. Les araignées, elles, y parviennent, puisqu’elles sont capables d’avaler leur fil avant d’en créer un nouveau. Moins connues que sa résistance, ces propriétés, celle de torsion notamment, sauvent la vie des araignées ! « Lorsqu’elle descend le long de son fil, par exemple, l’araignée doit éviter de tourner dans tous les sens, pour rester face à ses éventuels adversaires », explique Olivier Émile. La vie d’une araignée ne tient qu’à un fil...

Céline Duguey

(1)Travaux de O. Émile, A. Le Floch, F. Vollrath publiés dans Nature vol 440, 30 mars 2006, et Physical Review Letters, 20 avril 2007 (lire Sciences Ouest n°232 mai 2006).
(2)Lee E Harvard, conférence devant la société ophtalmologique américaine en 2006.

Olivier Émile
Tél. 02 23 23 65 21
olivier.emile [at] univ-rennes1.fr (olivier[dot]emile[at]univ-rennes1[dot]fr)
Albert Le Floch
Tél. 02 23 23 61 94
albert.lefloch [at] univ-rennes1.fr (albert[dot]lefloch[at]univ-rennes1[dot]fr)

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