Dans le monde du cerveau

N° 285 - Publié le 11 juin 2014
© Photononstop - Marc Robin

À Rennes, la stimulation profonde du cerveau soigne la maladie de Parkinson... et bientôt les Toc et la dépression.

Notre matière grise perd peu à peu de son opacité. Les progrès réalisés dans le domaine de l’imagerie médicale, mais aussi les liens que tissent depuis plusieurs années les neurosciences et la psychologie contribuent à éclairer les mystères que recèle encore notre cerveau.

Une technique comme la stimulation profonde, inventée en France et mise au point au CHU de Grenoble(1), est, par exemple, utilisée aujourd’hui en routine pour traiter de façon pérenne des patients atteints de la maladie de Parkinson. C’est le cas depuis 2006 au CHU de Rennes, dans l’unité Comportement et noyaux gris centraux de l’Université de Rennes1, dirigée par le professeur Marc Vérin. La technique consiste à stimuler le noyau subthalamique grâce à une électrode implantée dans cette zone de 4mm sur 10, enfouie dans notre cerveau(2).

40 patients traités par an

En 2008, l’équipe rennaise cosigne avec l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris une publication de niveau mondial qui démontre l’effet de cette stimulation pour traiter les Troubles obsessionnels compulsifs (Toc). « La stimulation normalise l’activité cérébrale en inhibant de manière très nette l’hyperactivité de la zone orbitofrontale - au-dessus des yeux - caractéristique dans cette maladie », explique Marc Vérin (voir clichés pages 12-13). Utilisée depuis en thérapeutique, elle n’en reste pas moins une intervention lourde réservée aux patients atteints des pathologies les plus sévères : ceux qui résistent aux traitements médicamenteux et aux thérapies comportementales. « Entre les maladies motrices (Parkinson, dystonie, tremblements) et neuropsychiatriques (Toc, syndrome de Gilles de la Tourette), nous traitons environ 40 patients par an », précise le neurologue. Depuis novembre 2010, date de la dernière publication des Rennais, c’est à la dépression que la technique pourrait bientôt être appliquée, au niveau d’une autre structure profonde : le noyau caudé.

Des informations inédites

Ce trouble est aussi traité par la stimulation magnétique transcrânienne, une technique également mise au point à Rennes (lire encadré ci-contre) et beaucoup plus facile à mettre en œuvre. Mais son effet est de plus courte durée. « L’acte chirurgical nous permet d’agir en profondeur, avec un effet permanent et pérenne. Et au-delà des retombées directes sur le bien-être des malades, la stimulation profonde nous révèle aussi des informations inédites sur le noyau subthalamique... »

Ce noyau a trois fonctions : une fonction motrice et deux autres fonctions liées aux circuits associatif et limbique, impliqués dans la gestion des émotions et de la motivation. Leur point commun est qu’il s’agit d’actions exécutées par notre cerveau de manière non consciente, comme la marche, qui n’est plus automatique dans la maladie de Parkinson, ou encore certaines associations d’idées. Les patients atteints de Toc sont, par exemple, victimes d’idées qui s’imposent malgré eux (obsessions).

Les bases neuronales du subconscient

Ce noyau subthalamique de quelques millimètres contribuerait à garder des traces d’événements de notre existence (chocs émotionnels, agressions physiques...) qui peuvent resurgir sous la forme de dysfonctionnements de l’activité cérébrale qui vont générer des troubles comportementaux. « Nous touchons possiblement là aux bases neuronales du subconscient ! Nous sommes arrivés à un stade où la neurologie et la psychiatrie sont en train de fusionner. C’est ce constat qui a conduit à la création de notre unité de recherche en 2006, en rapprochant mon équipe et celle de mes collègues psychiatres Bruno Millet et Dominique Drapier, en collaboration étroite avec le neurochirurgien Claire Haegelen. »

Les chercheurs ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Début février, ils ont reçu une réponse favorable à une demande de financement leur permettant de poursuivre leurs travaux et de travailler sur la corrélation entre l’activité neuronale et les symptômes. « Nous voulons enregistrer l’activité cérébrale, une fois les électrodes posées, avant de commencer le traitement, afin de comprendre comment les dysfonctionnements arrivent et s’enchaînent », poursuit Marc Vérin. L’objectif serait de reproduire, pour le cerveau, les stimulateurs intelligents et communicants qui ont été mis au point au sein du Centre d’innovation technologique en cardiologie, une autre spécialité rennaise(3) ! Cela permettrait de ne pas stimuler en permanence, comme c’est le cas actuellement, mais seulement au moment de l’émergence des symptômes.

Avec des éthologues et des sociolinguistes

Le terreau rennais est décidément fertile pour les neurosciences. Outre les collaborations avec leurs collègues du CHU et le dynamisme de la recherche clinique (lire article sur la plate-forme Neurinfo ci-dessous), les membres de l’unité Comportement et noyaux gris centraux font aussi partie du Gis Cerveau-comportement-société dans lequel ils peuvent croiser des éthologues, mais aussi des sociolinguistes, des économistes et des juristes (lire p.16). Si tous ces spécialistes ne liront jamais dans nos pensées, leurs collaborations devraient permettre de mieux comprendre le fonctionnement de notre cerveau et les interactions de notre machinerie cérébrale avec son environnement. Pour que notre matière grise ne reste pas une boîte noire.

Un GPS pour le cerveau !

Ça y est, l’aventure se concrétise ! L’entreprise Syneika vient d’obtenir le marquage de la Communauté européenne pour son dispositif de neuronavigation. « Ce système est issu de recherches menées au Centre hospitalier Guillaume-Régnier et à l’Irisa(4), explique Luc Bredoux, son directeur. Il vise à faciliter le traitement de la dépression par stimulation magnétique transcrânienne. »

En plein essor, cette méthode consiste à envoyer des ondes magnétiques, à travers le crâne, dans une zone bien précise du cerveau. Le plus difficile, bien sûr, étant de localiser ladite zone, bien dissimulée derrière les cheveux, la peau et le crâne ! « Notre système fonctionne un peu comme un GPS, où l’IRM du patient est la carte, et le stimulateur la voiture.

Cela permet une précision au millimètre ! » Créée en mai 2009, Syneika équipe aujourd’hui ses premiers hôpitaux. D’ici quelques mois, l’entreprise va également débuter une étude sur l’impact de cette précision sur l’efficacité du traitement.

Céline Duguey
Luc Bredoux
Tél. 02 22 66 55 90
luc.bredoux@syneika.com
Nathalie Blanc

(1) Rennes fait partie d’un réseau de 12 CHU qui travaillent ensemble sur la stimulation profonde : Bordeaux, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille, Lyon, Nantes, Nice, 2 CHU à Paris, Poitiers, Toulouse.
(2) Lire l’article : Une petite électrode contre la maladie de Parkinson dans Sciences Ouest n°237 - novembre 2006.
(3) Lire l’article : Inventer des prothèses cardiaques intelligentes dans Sciences Ouest n°237 - novembre 2006.
(4) Lire Sciences Ouest n°258 - octobre 2008.

Marc Vérin
Tél. 02 99 28 98 42
marc.verin [at] chu-rennes.fr (marc[dot]verin[at]chu-rennes[dot]fr)

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