Les maths ont la solution !

N° 286 - Publié le 3 juin 2014
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Écrite pour la physique, l’équation de Schrödinger est aujourd’hui au centre de nombreux problèmes mathématiques.

Mouvement des particules, modélisation du laser : mathématiques et physique sont liées par  la même formule.

Elle est impressionnante cette équation. Elle en impose, avec ses lettres campées autour de symboles, obscurs pour les non-initiés. Pourtant, lorsqu’il l’écrit dans les années 30, le physicien autrichien Erwin Schrödinger ne se doute peut-être pas qu’elle occupera encore les mathématiciens, 80 ans après. Aujourd’hui, cette “formule” emblématique de la physique quantique, qui permet de décrire les mouvements des particules élémentaires (atomes, électrons...), pose encore de nombreux problèmes. Dans un bureau de l’Institut de recherche mathématique de Rennes, San Vu Ngoc, membre de l’équipe d’analyse et récemment admis à l’Institut universitaire de France, s’intéresse à la géométrie qui se cache derrière tous ces signes. « Ces propriétés géométriques sont liées à des phénomènes de physique classique, plus simples, plus intuitifs et mieux connus. En les comprenant, je peux ensuite les transposer dans l’univers plus complexe de la physique quantique. » Le mathématicien cherche à aller au plus simple.

Transformer les équations

Le problème, parce qu’il en faut un, c’est que l’équation de Schrödinger est un véritable casse-tête, même pour le plus aguerri des chercheurs. Alors pour se simplifier (encore !) la tâche, les mathématiciens l’ont rangée, elle et d’autres équations qui lui ressemblent, dans un grand ensemble baptisé équations pseudo-différentielles. « Elles ont été inventées dans les années 60. Lorsqu’une équation est trop complexe, on la transforme un peu, en observant ses symétries, par exemple. Jusqu’à retomber sur une plus simple, mais qui fasse toujours partie de cette famille des pseudo-différentielles. »

Devant son équation plus “simple”, le mathématicien peut se plonger dans l’étude de sa géométrie. Ici, pas de figures à proprement parlé, plutôt des phénomènes géométriques. Sur le tableau noir, San Vu Ngoc dessine une myriade de points de part et d’autre d’un axe, une traduction graphique de l’équation. « Ici, explique-t-il, si on relie quatre points contigus en un rectangle, puis un autre rectangle avec un des côtés du rectangle précédent, et ainsi de suite jusqu’à faire un tour complet autour d’un point fixe de l’axe, on ne retombe pas sur la même figure qu’au départ ! » (voir figure p.13). Imaginez-vous partir dans une 2CV, sur une route qui tourne autour d’un arbre, et qu’au long de votre trajet, votre voiture se transforme en 4L !

Changement d’état

« En géométrie ce phénomène s’appelle la monodromie. Et il traduit directement un changement d’état quantique des particules régies par l’équation de départ. » Cet aspect de la géométrie permet notamment de décrire simultanément les positions et les vitesses des particules. Et se met en pratique dans notre univers. « J’ai échangé avec des physiciens qui étudient l’atmosphère du Soleil par exemple. Et il semblerait que là-haut, la structure des molécules d’eau subisse des monodromies, lorsque leur énergie et leur vitesse de rotation varient. »

Un laser modèle

Retour sur Terre. À Lannion, le mathématicien Stéphane Balac travaille sur une autre source de lumière, celle du laser. Dans le cadre du projet Green laser, coordonné par le laboratoire Foton de l’Enssat(1), il doit mettre au point un modèle informatique capable de prédire avec exactitude le comportement d’une source laser injectée dans une fibre optique. Là aussi l’équation de Schrödinger est de sortie. « Elle permet de décrire la propagation du laser dans la fibre. Elle fait intervenir quatre variables, une pour chaque dimension de l’espace, plus une pour le temps. Et la grande inconnue, celle qui doit résoudre l’équation, c’est l’amplitude du champ électromagnétique. » L’avantage ici, c’est que certaines hypothèses physiques peuvent être exploitées pour simplifier l’équation. « Par exemple, comme la lumière se déplace dans une fibre optique, il n’y a plus qu’une direction de propagation, cela supprime deux variables ! »

S’approcher de la solution

Malgré tout, la résolution s’avère parfois encore trop compliquée. « Mais les physiciens, eux, ont besoin d’une réponse, rappelle Stéphane Balac, donc nous essayons de construire une approximation de la solution. Pour cela on peut découper la fibre en petits morceaux, et sur chacun de ces segments, il est possible de résoudre l’équation de manière approchée. On obtient une solution numérique, extrêmement proche de la vraie. » Et pour vérifier la cohérence de tous ces calculs, les deux camps comparent leurs résultats, mathématiques et expérimentaux. « L’avantage, une fois que l’on a un bon modèle informatique, c’est que l’on peut facilement faire varier des paramètres et obtenir des résultats de façon moins coûteuse. Cela permet de réduire les besoins en expériences. » Aller au plus simple, optimiser les expériences... Qui a dit que les mathématiques étaient compliquées ?

Rapprochement Rennes Nantes, un bon calcul

Faire reconnaître l’excellence de la recherche en mathématiques de l’Ouest. C’est l’objectif du projet de Laboratoire d’excellence (Labex) déposé en novembre dernier par l’Irmar(2), le département mathématiques de l’antenne de Bretagne de l’ENS Cachan et le laboratoire Jean Leray de Nantes.

« Notre projet, baptisé Marena (Mathématiques Rennes Nantes), permet de mutualiser les forces, explique San Vu Ngoc, responsable du dossier. Avec Nantes, mais aussi en Bretagne, avec le laboratoire de Brest, avec lequel nous avons déjà des liens. » Depuis plusieurs années, les étudiants en master, qu’ils soient brestois ou rennais, bénéficient des enseignements des professeurs des deux départements. Et du côté nantais, « il existait déjà des séminaires communs . Là, il s’agit d’organiser des conférences, des semestres thématiques dans chacune des villes, de préparer des articles et de faire participer des chercheurs du monde entier. Nos recherches sont très complémentaires. Réunies, nos deux régions couvrent presque l’ensemble des mathématiques ! » Quel que soit le résultat de l’appel à projets, des liens sont tissés !

San Vu Ngoc
02 23 23 60 39
san.vu-ngoc@univ-rennes1.fr
Céline Duguey

(1) Enssat : École nationale supérieure des sciences appliquées et de technologie.
(2) Irmar : Institut de recherche mathématique de Rennes.

San Vu Ngoc
02 23 23 60 39
san.vu-ngoc [at] univ-rennes1.fr (san[dot]vu-ngoc[at]univ-rennes1[dot]fr)

Stéphane Balac
02 96 46 91 67
stephane.balac [at] univ-rennes1.fr (stephane[dot]balac[at]univ-rennes1[dot]fr)

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