Qui veut jouer au soldat rose?

N° 291 - Publié le 13 octobre 2011
© Adrian Dennis - Afp
Les jeux structurés, qui font appel à des habilités sociales et langagières apparaissent plus tôt chez les filles.

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Tout jeunes, garçons et filles se distinguent par leur comportement. Inné, acquis ou bien les deux à la fois ?

Qui a déjà observé des enfants ne pourra pas dire le contraire : les petits garçons n’ont pas la même manière de jouer que les petites filles ! Les premiers privilégient les jeux avec du mouvement et du contact : bagarres et courses, tandis que les deuxièmes préfèrent les jeux plus calmes et structurés. Comment expliquer ces faits ? Inné ou acquis ?

Des chercheurs britanniques ont travaillé récemment sur le lien entre le taux prénatal de testostérone et les comportements ultérieurs des enfants, en faisant des dosages de l’hormone dans le liquide amniotique d’un échantillon de femmes prises au hasard. Résultats : les taux de testostérone élevés sont liés à des comportements dits masculins, chez les garçons... et aussi chez les filles. Sachant que les chiffres restent plus élevés chez les garçons que chez les filles. « Il existe bien des différences biologiques au départ, note Stéphanie Barbu, enseignant-chercheur en éthologie à l’Université de Rennes 1. Que l’environnement peut gommer... ou renforcer ! »

Tous les chemins sont possibles

Pas question pour l’éthologiste de renier les bases biologiques. Mais après... tous les chemins sont possibles ! L’âge de l’enfant et des différences dans la vitesse de développement entre garçons et filles sont des paramètres qui, on le sait, jouent énormément. Ainsi, dans ses études sur le développement social et langagier chez des enfants de 2 à 6 ans, Stéphanie Barbu observe des différences entre les deux sexes mais qui évoluent dans le temps. « Les jeux structurés, qui font appel à des habilités sociales et langagières apparaissent plus tôt chez les filles que chez les garçons. Aussi, les résultats obtenus ne seront pas les mêmes selon l’âge des enfants que l’on observe », précise-t-elle. Une de ses publications, parue en janvier 2011, illustre ces propos sur plusieurs catégories de jeux (est inoccupé, joue seul, observe, pratique des jeux associatifs, des jeux coopératifs, discute) en fonction du sexe et de l’âge. Ces analyses dans le temps, c’est aussi ce que cherche à faire Gaïd Le Maner, du Laboratoire de psychologie du développement à l’Université Rennes 2. Ces dernières années, elle a travaillé sur des groupes (mixtes ou non) de deux enfants de 24 mois en situation de jeu avec trois types de jouets (masculins, féminins et mixtes). Elle a déterminé, qu’à cet âge, les enfants sont capables de différencier les deux sexes ainsi que les catégories d’objets et qu’ils adoptent des comportements considérés comme culturellement appropriés à leur sexe. Aujourd’hui, elle envisage de suivre un même groupe d’enfants pendant plusieurs mois, ceci afin de saisir plus finement la genèse de la conformisation aux rôles sexués.


Les taux de testostérone prénataux élevés sont liés à des comportements dits masculins, d'après une étude britannique
© Phovoir

De très nombreux paramètres à croiser

Mais le temps n’est pas le seul paramètre. L’âge, la catégorie socioprofessionnelle des parents, le fait que le papa soit ou non un “père traditionnel”, la place de l’enfant dans la fratrie... sont autant de critères qui viennent nuancer les données. D’autant plus que l’on peut les croiser. « Dans une étude sur l’acquisition du langage, effectuée en fonction du sexe et aussi du statut socio-économique de la famille, on retrouve la précocité des filles seulement dans les milieux les moins favorisés. En revanche, on n’observe pas de différences entre les sexes chez les catégories socioprofessionnelles plus élevées », précise Stéphanie Barbu. Et des critères, il en existe une infinité. « La société a beaucoup évolué. Le champ des possibles est aujourd’hui beaucoup plus vaste qu’au début du 20 e siècle », ajoute Gaïd Le Maner. Sachant aussi que la plupart des études sur le genre sont menées dans des pays occidentaux, qu’en est-il dans les autres cultures ? Gaïd Le Maner attend avec impatience les résultats d’une étudiante brésilienne, ayant choisi d’appliquer dans son pays le protocole d’observations des comportements de jeu des enfants de 24 mois, mis au point à Rennes. Les petits Brésiliens montreront-ils plus d’attirance pour le ballon rond ?

Comprendre – De quel sexe parlez-vous ?

Le sexe génétique (XY ou XX) est déterminé dès la fécondation. Le sexe gonadique dépend du type de gonade (ovaires ou testicules). Le sexe génital, lui, est déterminé par les organes génitaux internes et externes et oriente dans la plupart des cas la déclaration du sexe légal ou civil. On les distingue du sexe social, encore appelé genre, qui correspond à la construction de l’identité sociale et culturelle. L’orientation sexuelle, la sexualité, est encore un autre niveau, qui ne dépend pas directement des précédents. Le cas le plus répandu est celui où tout “concorde” : un bébé de sexe biologique féminin qui s’épanouit dans une vie de femme ; un bébé de sexe biologique masculin qui s’épanouit dans une vie d’homme. Mais il existe d’autres schémas. Notamment parce qu’il peut y avoir ambiguïté sur le sexe biologique dans 1,7% des naissances. La construction de l’identité est donc régie par un ensemble de facteurs : d’ordres génétiques, hormonaux, sociaux et environnementaux.

Le chemin pour y arriver

La manière de mesurer un comportement peut influencer le résultat. C’est ce que relate cette expérience sur l’orientation dans l’espace menée au Canada dans un centre commercial. Il est demandé à un groupe d’hommes et de femmes de se rendre d’un point à un autre et... ce sont ces dames qui se révèlent être les plus efficaces. Ce résultat serait-il en contradiction avec les idées reçues qui disent que les femmes ont plus de difficultés que les hommes à s’orienter dans l’espace et à faire des rotations mentales d’objets ? Pas tant que ça... car si on leur demande comment elles s’y sont pris, elles répondent qu’elles ont demandé leur chemin !

L'appartenance à un groupe

Dès le berceau, un bébé est déjà capable de discriminer les deux sexes (mesure de l’attention portée à des photos ou à des voix de femmes et d’hommes). À un an, l’enfant différencie les sexes ; les catégorise entre deux et trois ans, puis s’identifie. Dès lors, il montre des préférences pour des congénères du même sexe. « Le fait de se savoir appartenir à un groupe renforce les liens avec ce groupe, explique Stéphanie Barbu, éthologiste. Ce n’est pas propre à l’identité sexuée, c’est le moteur de toutes discrimination et ségrégation. »

Nathalie Blanc

Stéphanie Barbu  Tél. 02 23 23 67 71
stephanie.barbu [at] univ-rennes1.fr (stephanie[dot]barbu[at]univ-rennes1[dot]fr)

Gaïd Le Maner Tél. 02 99 14 19 40
gaid.lemaner-idrissi [at] uhb.fr (gaid[dot]lemaner-idrissi[at]uhb[dot]fr)

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