Le réveil du régionalisme

N° 315 - Publié le 13 décembre 2013
© Fred Tanneau - Afp
Expression du régionalisme lors de la manifestation des bonnets rouges luttant contre l'écotaxe, le 2 novembre dernier à Quimper.

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Il épluche les archives pour étudier la solidarité régionale chez les Celtes lors de conflits sociaux dans les années 1970.

MENTION SPECIALE TRANSPORTS, INNOVATIONS SOCIALES, CITOYENNES ET CREATIVES

Dans (presque) toute manifestation politique, culturelle ou sportive, un passionné brandit fièrement son drapeau breton. La Bretagne possède en effet une forte identité régionale, à laquelle on attribue le succès de ses grandes luttes sociales. L’affaire de la centrale nucléaire de Plogoff figure parmi les symboles les plus marquants(1). « Ce régionalisme n’a pas toujours existé », commence Tudi Kernalegenn. Quand est-il né ? Pourquoi ? Comment ? Dans sa thèse soutenue en 2011, le chercheur porte un point de vue nouveau sur la façon dont le régionalisme se construit. « J’ai voulu démontrer que chaque acteur social porte sa vision de la région, et que cette pluralité de projets produit un imaginaire régional propre. En constante élaboration et évolution, la région n’est donc pas une réalité immuable, mais une façon de regarder le monde. »

Une approche cognitive

Pour vérifier son intuition, Tudi Kernalegenn a étudié les actions et les réflexions qui ont émergé au sein des gauches en 1971-1972, lors d’importants conflits sociaux en Bretagne mais aussi en Galice, et en Écosse, trois régions à forte identité. « J’ai choisi un conflit particulier dans chaque région. L’un concerne une usine chimique(2) bretonne, et les autres des entreprises de construction navale3). Ils portent tous sur l’amélioration de la condition ouvrière et ont duré plusieurs semaines ou même plusieurs mois. » Dans chaque cas, Tudi Kernalegenn s’est également concentré sur le comportement et la réflexion d’un syndicat et d’un parti de gauche(4). Il a donc épluché les archives - tracts, presse, interventions publiques, meetings et réunions internes retranscrits - pour reconstituer les discours.

Efficace, la solidarité régionale !

Les conclusions des recherches dans les trois régions se recoupent. « Les acteurs dénoncent une oppression sociale, avec le vocabulaire marxiste caractéristique de l’époque, résume Tudi Kernalegenn. Mais à cela s’ajoute une dimension territoriale nouvelle, à laquelle les organisations de gauche étaient assez imperméables jusqu’alors. » En 1972, un nouveau point de vue se développe petit à petit. « Dans l’usine bretonne, la CFDT dénonce la différence des salaires entre les ouvriers bretons et parisiens, regrette que toutes les décisions se prennent à Paris et revendique le droit de “vivre et travailler” au pays. » Ce sentiment d’inégalité et d’injustice se généralise en Bretagne, provoquant l’émergence d’une forte solidarité régionale vis-à-vis des grévistes. Des réseaux et groupes de soutien voient le jour, des festoù-noz sont organisés pour récolter de l’argent. Une forme de solidarité novatrice... et efficace ! En Bretagne, comme en Écosse et en Galice, les ouvriers finissent par obtenir gain de cause.

Réfléchir autrement

« Les mouvements sociaux des années post 68 ont provoqué un choc cognitif qui a accéléré l’évolution des modes de pensées, notamment sur la question régionale. On l’observe dans le monde entier, explique Tudi Kernalegenn. À cette époque, la société était en pleine mutation socio-économique. L’accès à la télévision, le développement de l’éducation, le détachement par rapport à la religion, les manifestations de mai 1968 ont initié chez les gens une réflexion différente et autonome ! »

Happé par la question régionale

Après un baccalauréat scientifique, Tudi Kernalegenn suit les classes préparatoires littéraires hypokhâgne et khâgne au lycée Chateaubriand, à Rennes, puis une licence en histoire à l’Université Rennes 2. Dans son mémoire de master 1, il s’intéresse à la lutte écologique en Bretagne. En master 2 de sciences politiques, à l’Institut d’études politiques (IEP) de Rennes, ses travaux portent sur le traitement de la question régionale par l’extrême gauche dans les années 1970. Il poursuit ensuite la réflexion au travers d’une thèse en sciences politiques à l’IEP, au Centre de recherches sur l’action politique en Europe (Crape), sous la direction d’Érik Neveu. Il travaille quelques années au Parlement européen comme assistant parlementaire avant d’achever la rédaction de sa thèse en 2011.

Aujourd’hui journaliste du magazine ArMen, Tudi Kernalegenn garde un pied dans la recherche, en tant que chercheur associé au Crape et au CRBC , et prépare les étudiants de l’Université Rennes 2 au diplôme d’étude celtique. Il codirige également la rédaction de L’Union démocratique bretonne, un parti autonomiste dans un État unitaire qui paraîtra aux Presses Universitaires de Rennes en janvier 2014.

Klervi L’Hostis

(1)Suite au combat antinucléaire intense mené par les Bretons, François Mitterrand renonce en 1981 à la centrale nucléaire de Plogoff.

(2)L’usine du Joint Français, une filiale de la Compagnie générale d’électricité, à Saint-Brieuc.

(3)Les entreprises Bazán, Barreras et Citroën en Galice et l’Upper Clyde Shipbuilders en Écosse.

(4)En Bretagne, il s’agit de la CFDT et du Parti socialiste unifié, fondé en 1960 et dissout en 1990.

Thèse : Une approche cognitive du régionalisme. Identités régionales, territoires, mouvements sociaux en Bretagne, Écosse et Galice dans les années 1970.

Tudi Kernalegenn
tudi.kernalegenn [at] gmail.com (tudi[dot]kernalegenn[at]gmail[dot]com)

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