Quand le vent les portera

N° 322 - Publié le 9 juillet 2014
© Beyond the sea

Imaginez un pétrolier tracté par un cerf-volant géant. Des chercheurs et des marins développent cette idée gonflée.

« Au début, nous étions sceptiques. Mais les calculs de force et de vitesse, réalisés par notre simulateur de cerf-volant, ont montré que c’est un projet réalisable. » À 26 ans, le doctorant Richard Leloup arrive à vous convaincre que sa thèse est sérieuse. Son scénario est pourtant digne de James Bond ou de Miyazaki : il veut concevoir des voiles de cerfs-volants géantes, pour tracter les porte-conteneurs et les pétroliers comme un kitesurf(1) ! Le jeune ingénieur diplômé de l’Ensta(2) Bretagne, à Brest, et ses encadrants ont monté ce projet de thèse, en septembre 2011 avec le skipper Yves Parlier. Elle a été intégrée au projet Beyond the sea(3) que le navigateur avait lancé avec sa société Océa, basée à Arcachon, pour concevoir des voiles volantes adaptées aux chalutiers et aux autres navires. « Les chalutiers, les pétroliers et les porte-conteneurs consomment beaucoup de fioul lourd, très polluant, explique le doctorant. Et le prix du carburant augmente. Il faut trouver des solutions pour l’économiser. » Le simulateur du cerf-volant, développé au Laboratoire brestois de mécanique et des systèmes (LBMS) à l’Ensta, a montré qu’une voile de 320 m2 permet d’économiser 26 % de carburant pour un pétrolier de 60000 t qui traverse l’Atlantique Nord. Cette voile joue un rôle de propulsion auxiliaire.

Sur le marché du transport maritime, d’autres solutions alternatives apparaissent : moteurs électriques, diesel-électriques, gaz, voiles tendues sur des mâts. Des cerfs-volants pour cargos sont même déjà développés par l’entreprise allemande SkySails(4). Mais la technologie, différente du projet Beyond the sea, se veut plus efficace, avec des kites à boudins gigantesques.

Des voiles de 2000 m2
« Notre idée consiste à utiliser l’énergie du vent avec une voile de 1500 à 2000 m2 qui vole à 300 m de haut », résume Richard Leloup. Les cerfs-volants ont un potentiel très intéressant pour la production d’énergie (électrique, comme les éoliennes, ou mécanique, pour le transport). D’autres entreprises et laboratoires planchent sur ce sujet porteur en dehors du secteur maritime : Makani Power(5) en Californie, Kitemill en Norvège, NTS GmbH en Allemagne ou encore l’Université de technologie de Delft, aux Pays-Bas.

« Un cerf-volant fait des “huit” et sa vitesse crée un vent apparent : il évolue alors dans un vent jusqu’à six fois plus fort que sur une voile de navire. L’énergie étant proportionnelle au carré de la vitesse, nous obtenons une force 36 fois supérieure à celle d’un gréement classique. » Mais comment maîtriser ces forces aériennes, depuis un bateau posé sur la mer ? « Les calculs effectués à l’Ensta Bretagne, complétés par des tests réalisés avec Yves Parlier sur de petits navires, montrent que l’on peut même remonter au vent, avec un cerf-volant. Et surtout, à la différence d’une voile classique, il n’y a pas besoin d’une grosse structure comme le mât : le kite est accroché au bout d’un câble. En plus, il ne génère pas de gîte sur un cargo. » L’idée est belle, mais les défis sont multiples pour concevoir la toile, les câbles, les treuils. Le calcul des forces créées par les ailes s’appuie sur les théories de l’aéronautique. Sauf que les ailes en tissu (comme les spinnakers des voiliers) sont courbes et souples, elles n’ont pas le profil des ailes d’avion. La structure de l’aile et la tenue mécanique des toiles seront modélisées - pour éviter les déchirures. Les câbles en matériau composite feront l’objet d’une autre thèse, tout comme l’envol et la récupération (étudiés par un doctorant à Polytechnique), le pilotage automatique et le “contrôle commande” étant un challenge à part entière.

Côté mer, le projet Beyond the sea a réuni des partenaires comme CMA CGM, troisième groupe mondial de transport maritime de conteneurs, mais aussi des pêcheurs de l’est canadien, en Gaspésie. En septembre, un crevettier du golfe du Saint-Laurent devrait être équipé d’un cerf-volant. En avril dernier, deux prototypes des prochaines voiles géantes ont déjà tracté avec succès le trimaran démâté Arkema, de Madère aux Canaries. Car ces technologies pourraient aussi servir aux plaisanciers comme moyen de secours pour rentrer au port. L’idée initiale d’Yves Parlier lui est d’ailleurs venue après un démâtage au large de la Nouvelle-Zélande, lors du Vendée Globe 2000. Ah, s’il avait eu un kite !

Les tests se poursuivront en septembre, depuis la plage puis sur un système flottant. Richard Leloup présentera sa thèse en octobre devant un jury international. Le projet Beyond the sea a été déposé à l’Ademe(6) pour répondre à l’Appel à manifestations d’intérêt du programme Investissements d’avenir Navires du futur (lire p. 12-13). La phase suivante sera la fabrication d’un premier cerf-volant géant. Reste à voir comment réagiront les fous de Bassan !

Un vaisseau vertical sur l’océan Austral

La construction d’un navire océanographique révolutionnaire débutera en 2015. Imaginé par Jean-Louis Étienne et conçu par Ship Studio à Lorient, le Polar Pod sera un pylône flottant de 100 m de haut. Dérivant dans l’océan Austral, il fera le tour de l’Antarctique de 2016 à 2018.

Autonome en énergie avec ses éoliennes, n’émettant ni bruit ni pollution, cet observatoire hébergera, à 20 m au-dessus des vagues, sept marins et ingénieurs. Ils acquerront des mesures sur les courants, le plancton, les baleines, l’effet des aérosols sur le climat, les échanges de carbone entre l’océan et l’atmosphère...

De nombreux instituts de recherche sont emballés par ce projet, dont l’IUEM(5) de Brest, l’Ifremer, l’Insu(6) (CNRS), Météo France et l’Esa(7). Le comité scientifique s’est réuni le 24 juin dernier. Il est présidé par Paul Tréguer et coprésidé par Gilles Bœuf et Jean Jouzel.

Nicolas Guillas

(1)Sport nautique où le surfeur est tracté par une voile volante.

(2)École nationale supérieure de techniques avancées Bretagne.

(3)Labellisé par le Pôle Mer Bretagne Atlantique, www.beyond-the-sea.com.

(4)www.skysails.info/english. (5)www.google.com/makani. (6)Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

(5)Institut universitaire européen de la mer.

(6)Institut national des sciences de l’Univers.

(7)Agence spatiale européenne.

Richard Leloup
Tél. 02 98 34 89 41
richard.leloup [at] ensta-bretagne.org (richard[dot]leloup[at]ensta-bretagne[dot]org)

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