Deux ans de données récoltées

N° 326 - Publié le 4 décembre 2014
© Klervi L'Hostis
Sur cette photo : un pycnogonide, petite araignée de mer, au centre : deux crevettes (Mirocaris fortunata), des vers à écailles (polychètes) et des tubes (en marron clair) dans lesquels vivent les polychètes.

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Films et mesures en continu ont permis aux chercheurs de comprendre le fonctionnement global de l’écosystème.

Depuis 2006, la faune abyssale du volcan Lucky Strike et son habitat sont observés en continu. L’équipement qui s’en charge, baptisé Tempo, fait partie de l’observatoire permanent. Il est connecté à la station Seamon Est, de sorte que les données récoltées puissent être transmises au centre Ifremer de Brest, via la bouée de surface (voir infographie p. 12-13). L’appareil comporte notamment une caméra et quatre projecteurs. « Entre 2013 et 2014, on a récupéré 1400 séquences de vidéos, précise Jozée Sarrazin, chercheuse en écologie benthique au Laboratoire environnement profond (LEP), à l’Ifremer de Brest. Un suivi visuel sur le long terme est très important pour connaître la biodiversité, son évolution au cours du temps et mieux comprendre l’ensemble des chaînes alimentaires qui régissent le milieu. Tempo est l’équipement phare de notre recherche. »

« Les crevettes ont un instinct grégaire »

L’appareil est également doté d’une sonde de température, d’un capteur d’oxygène et d’un analyseur chimique, qui permettent aux chercheurs de faire correspondre les différentes espèces animales avec un environnement chimique. L’analyseur mesure la concentration en fer quatre fois par jour et les variations en oxygène sont enregistrées toutes les quinze minutes. Associées à la température, les données chimiques indiquent les proportions d’eau de mer et de flux hydrothermal à un endroit donné. « On se réfère au fait que l’eau de mer est à 4 °C et contient beaucoup d’oxygène tandis que les fumeurs s’élèvent à plus de 300 °C et sont riches de fer », dit Pierre-Marie Sarradin, chercheur en biogéochimie au LEP, à l’Ifremer.


En 2014, comme en 2013, 45 substrats ont été déposés sur 5 sites différents, plus ou moins loin de l'activité hydothermale de l'édifice Tour Eiffel.
© Rov Victor 6000 - Momarsat 2014/Ifremer/Cnrs

L’analyse et les résultats de deux ans de données chimiques et écologiques récoltées par Tempo ont fait l’objet d’une publication(1) cette année. Six espèces distinctes ont été répertoriées : « On constate que la communauté est très stable, décrit Jozée Sarrazin. Les moules se déplacent peu. Les crabes ont un comportement solitaire et très territorial alors que les crevettes sont plus grégaires. Les interactions entre eux sont limitées. » Les polychètes, de petits vers à écailles, ont quant à eux des mouvements agressifs pour faire fuir leurs congénères. Et le tapis microbien change au gré des perturbations du milieu.

« Les variations à grande échelle comme les séismes, les marées et les courants peuvent aussi avoir un impact sur la chimie des fluides et sur la faune », ajoute Jozée Sarrazin. Grâce au nouveau financement de l’Agence nationale de la recherche, l’équipe du LEP intégrera à ses travaux les données géophysiques acquises à différentes échelles d’espace et de temps pour obtenir un aperçu global du fonctionnement des écosystèmes de Lucky Strike.

Qui mange quoi ?

« Le suivi effectué par Tempo n’est pas suffisant : nous ne savons pas si le fait d’allumer ses projecteurs perturbe la faune qui vit normalement dans le noir complet », explique Jozée Sarrazin. Des substrats en bois, éponge, os et ardoise, équipés d’une sonde de température, ont été déposés en 2013 et 2014 plus ou moins loin des édifices actifs de Lucky Strike. Le but ? Identifier les facteurs favorisant la colonisation d’un substrat par une espèce animale. « Nous pensons que l’activité hydrothermale a plus d’impact que le type de substrat, excepté pour les xylophages ne semblent pas tolérer la proximité des fluides. » Pour vérifier l’hypothèse, les substrats seront récupérés en 2015. « Certains dateront d’un an, d’autres de deux ans. Ce qui nous permettra d’étudier l’évolution des communautés au fil du temps, et en particulier la compétition et la prédation entre espèces. » Une fois au laboratoire, les chercheurs mesurent la signature isotopique en carbone et en azote des tissus des différents organismes : « L’azote informe sur le niveau de prédation tandis que les isotopes de carbone sont des indicateurs des sources de nourriture. » Par exemple, les analyses faites sur les moules récoltées lors des dernières campagnes montrent qu’elles occupent une niche isolée : a priori, elles n’ont donc pas de prédateurs. Quant aux crabes et aux crevettes, ils seraient nécrophages. C’est pour l’instant l’hypothèse la plus probable d’après leurs signatures isotopiques.

Klervi l’Hostis

(1)Dans Oceanographic Research Papers, volume 90, août 2014.

Jozée Sarrazin
Tél. 02 98 22 43 29
jozee.sarrazin [at] ifremer.fr (jozee[dot]sarrazin[at]ifremer[dot]fr)

Pierre-Marie Sarradin
Tél. 02 98 22 46 72
pierre.marie.sarradin [at] ifremer.fr (pierre[dot]marie[dot]sarradin[at]ifremer[dot]fr)

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