Partout, le sol assailli

N° 329 - Publié le 4 mars 2015
© YasuYoshi Chiba / AFP
Démonstration de récolte de soja dans l’État du Mato Grosso, au Brésil, en 2012.

À l’échelle mondiale ou microscopique, les chercheurs explorent les conséquences des différents usages du sol.

Nous serons neuf milliards en 2050. Neuf milliards de personnes à nourrir, à loger. C’est en posant ces chiffres que l’on comprend que la terre, la surface de terre disponible, est en fin de compte une ressource rare. Et cette rareté invite à réfléchir à l’utilisation que l’on en fait. Que ce soit au niveau des grands usages : agriculture, sylviculture, artificialisation..., ou au niveau des alternatives possibles au sein même de ces usages. Si l’on fait le choix d’un modèle agricole différent, par exemple, alors la répartition entre terres d’élevage et de culture s’en trouvera modifiée. Et cela ne se cantonne pas à une région, ni même à un pays. Les choix faits ici peuvent avoir des conséquences sur l’usage des sols à l’autre bout du monde, via les échanges internationaux.

L’impact des biocarburants

À la fin de novembre, un Groupement d’intérêt scientifique (Gis) a été constitué en France par l’Ademe(1) et l’Inra(2), pour travailler sur cette thématique du changement d’usage des sols. Une des études menées en préambule à cette création a été réalisée par des économistes de l’Inra de Rennes et vient d’être publiée. Elle concerne les conséquences du développement des biocarburants en France. « Au départ, l’Ademe avait réalisé une analyse du cycle de vie des biocarburants, explique Chantal Le Mouël, économiste dans l’unité Smart(3), pour évaluer les conséquences en termes de gaz à effet de serre des biocarburants (ndlr : hors problématique alimentaire) et fournir des éléments aux décideurs. Leurs résultats se sont avérés très sensibles aux hypothèses posées de changement d’affectation des sols, ils nous ont donc proposé de collaborer. » Les économistes ont alors mis au point un modèle mondial de marchés et d’échanges de grandes cultures capable de simuler les effets d’une variation de la consommation des biocarburants. À chaque hectare de ressource produit correspond une quantité de travail, d’énergie, de fertilisant... liée au rendement. « L’avantage de notre modèle, c’est que les rendements à l’hectare et les surfaces consacrées aux différents produits (céréales, viandes, huiles) s’ajustent en fonction du contexte de prix. » C’est essentiel, car lorsque la demande augmente, la quantité de terres nécessaires sera d’autant plus grande si le rendement ne peut augmenter, et vice versa. Si l’azote est plus cher, par exemple, on fertilise moins donc il faut plus de terres.

Ces terres perdent leur potentiel

« Nous avons regardé l’effet d’un développement des biocarburants en France entre 2004 et 2009. Pour cela, nous avons comparé l’évolution réelle à une évolution simulée sur notre modèle, pendant la même période, sans augmentation de la demande en biocarburant. » Le constat est clair : « Le développement de la consommation de biocarburants en France entre 2004 et 2009 a induit un accroissement de la surface cultivée en grandes cultures au niveau mondial. » En d’autres termes, certaines terres ont été converties en grandes cultures du fait du développement des biocarburants en France. « Notre modèle étant limité aux grandes cultures, on ne sait pas à quoi ces nouvelles terres cultivées servaient avant : étaient-ce des jachères ? Des forêts ? Nous sommes contraints de faire des hypothèses. » Des études de suivi à long terme sont menées par ailleurs, comme celles que réalisent les géographes rennais du LETG(4) grâce aux images aériennes et satellite. D’autres travaux montrent également que les écosystèmes de ces sols nouvellement cultivés perdent notamment une partie de leur potentiel à stocker du carbone. En Bretagne, de nombreux chercheurs étudient les effets des changements de pratiques sur le fonctionnement même du sol et les conséquences qui en découlent : émanations de composés organiques volatiles.

Un espace pour dialoguer

Ces résultats signent-ils donc la fin des biocarburants ? Ce n’est pas si simple, car la politique volontariste d’abord mise en place a incité beaucoup de professionnels à s’engager dans cette voie. L’étude a d’ailleurs mis plus d’un an à sortir, car les enjeux étaient sensibles. C’est notamment ce qui a motivé la création du Gis. « Nous voulions une structure qui nous permette de dialoguer avec les professionnels et les décideurs politiques, de transmettre et d’expliquer nos raisonnements, nos résultats. » Surtout quand ces derniers ne sont pas forcément ceux qu’on attend. Les économistes de l’Inra travaillent aujourd’hui sur les effets qu’auraient, en termes de changements d’affectation des sols, des modifications des systèmes d’élevage en France et en Europe. Si toutes les vaches de France broutaient uniquement de l’herbe, et donc si les surfaces enherbées s’étendaient au détriment d’autres cultures, quelles seraient les conséquences en termes d’émission de gaz à effet de serre ? À première vue, les bénéfices ne semblent pas nets ! Tout comme le climat, auquel elle est très fortement liée, l’occupation des sols est une problématique à la fois très locale et mondiale.

En 2015, le monde a les yeux rivés au sol

2015 a été déclarée Année internationale des sols par la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Le lancement a été donné le 5 décembre dernier, au cours d’une journée internationale des sols qui a vocation à perdurer. Concrètement, l’objectif de la FAO est de donner de la visibilité à cette ressource souvent méconnue, peu considérée, et dégradée. Or, les rôles du sol dans la sécurité alimentaire mondiale, mais aussi dans la régulation des cycles naturels en lien avec le climat, par exemple, sont aujourd’hui démontrés.

Cette année internationale comportera des sommets, des conférences dans de nombreux pays, mais également des événements grand public : une exposition au Musée d’histoire naturelle de Madrid, un dimanche portes ouvertes à la ferme en Écosse... Plus facilement accessible de chez soi, le site Internet dédié regorge de ressources : fiches d’information sur les différentes problématiques liées au sol, infographies... Ainsi que des conseils pour faire passer l’info autour de soi !

www.fao.org/soils-2015
Céline Duguey

(1) Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

(2) Institut national de la recherche agronomique.

(3) Structures et marchés agricoles, ressources et territoires UMR 1302.

(4) Littoral, environnement, télédétection, géomatique. UMR 6554, CNRS, Inra, Universités de Bretagne Occidentale, Caen, Nantes, Rennes 2 et Angers.

Chantal Le Mouël
Tél. 02 23 48 53 86
chantal.lemouel [at] rennes.inra.fr (chantal[dot]lemouel[at]rennes[dot]inra[dot]fr)

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