Des antennes à fleur de peau

N° 336 - Publié le 13 novembre 2015
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Sous le textile, où se cache l'antenne minuscule, le support blanc est un matériau qui a les propriétés électromagnétiques d'un bras humain. Grâce à ce dispositif, Nacer Chahat a démontré que les ondes, émises par cette mini-antenne très originale, ne rayonnent pas dans le corps.

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Invisibles et inoffensives, les antennes mises au point par Nacer Chahat se cachent dans le textile d’un tee-shirt.

Mention Amélioration de la santé et du bien-être des sociétés

Les antennes, ce n’est plus ce que c’était. Vous pensiez à un objet pointu et métallique, visible de loin ? C’est l’inverse qui est né dans le cerveau des chercheurs en télécommunications de l’IETR (Institut d’électronique et de télécommunications de Rennes). Ces antennes sont planes, flexibles et mesurent quelques centimètres. Elles se cachent dans les électrotextiles d’un tee-shirt. Les applications sont multiples : transmettre, via les antennes et un téléphone, les données physiologiques d’un sportif (température, rythme cardiaque, localisation GPS), relier un patient à son médecin, ou relayer les images filmées par un pompier. En 2012, pour sa thèse à l’IETR, Nacer Chahat a étudié ces antennes, sous la codirection de Ronan Sauleau et Maxim Zhadobov.

Le jeune scientifique s’est lancé dans ces recherches lors de son stage de master, à l’École supérieure d’ingénieurs de Rennes (Ésir). Il l’a réalisé au Japon, l’un des pays précurseurs dans le domaine des électrotextiles communicants, avec la Grande-Bretagne. Il a ensuite proposé à l’IETR de développer ce thème porteur dans une thèse. Ses recherches ont consisté à réduire les interactions entre l’antenne et le corps. Car c’est là qu’il y a un problème : sous le tee-shirt, le corps humain est exposé aux ondes émises par les antennes. « Le but est d’avoir une antenne la plus efficace possible, qui fait rayonner la totalité de la puissance injectée pour communiquer, résume Nacer Chahat. Mais le corps absorbe cette puissance : nous voulons éviter cela pour des raisons sanitaires. Nous avons développé une structure, appelée métamatériaux, complètement intégrée au vêtement. Elle réduit l’absorption dans le corps de plus de 99 %. C’était une des innovations de ma thèse. »

Mesurer l’absorption des ondes

Nacer Chahat a d’abord réalisé des modèles à l’ordinateur, qui reproduisent les performances des antennes. Il a ensuite réalisé des prototypes, puis intégré ces antennes textiles sur des “fantômes”. Ce matériau n’a rien à voir avec les manoirs hantés : c’est une gélatine spéciale qui reproduit les propriétés électromagnétiques du corps humain. Les antennes et les métamatériaux sont posés sur les fantômes, dans une chambre anéchoïde : dans cet espace, où les ondes ne se réverbèrent pas sur les parois, les chercheurs mesurent les radiations émises.

« Ces fantômes, qui sont une autre innovation de ma thèse, nous ont permis de mesurer quelle était l’absorption des ondes dans le corps. » Ces mesures ont montré l’efficacité des métamatériaux pour “stopper” les ondes. « Le seul impact pourrait être thermique : quand une onde rayonne, il y a une augmentation de la chaleur dans la peau. Mais en réduisant le niveau de la radiation pour éviter cette augmentation, il n’y a pas d’impact sanitaire. » Les ondes émises par les antennes (aux fréquences de 2,4 et 5,1 GHz) sont du même type que celles du GPS et du Wi-Fi. « Nous avons été précurseurs en montant plus haut en fréquence, jusqu’aux ondes millimétriques à 60 GHz. L’intérêt est de réduire la taille des antennes, qui mesurent alors quelques millimètres. »

Ces recherches ont été fructueuses : Nacer Chahat a publié durant sa thèse treize articles dans des revues scientifiques de renommée internationale. Indirectement, ces avancées se concrétisent à travers l’entreprise Cityzen Sciences, à Lyon, spécialisée dans la conception de textiles connectés. À l’IETR, aujourd’hui, c’est la doctorante Carole Leduc qui poursuit la recherche sur les ondes millimétriques.

D’Agen à Pasadena

Lauréat : Nacer Chahat

Originaire du Sud-Ouest, près d’Agen, Nacer Chahat a d’abord étudié les réseaux de communication à l’IUT d’Angoulême. Il est ensuite élève à l’École supérieure d’ingénieurs de Rennes. « Rennes est un pôle de recherche très actif dans les télécommunications, le meilleur en France. C’est la raison pour laquelle je voulais absolument venir ici. » Après son doctorat à l’IETR et de nombreux prix(1), Nacer Chahat est postdoctorant au JPL, le célèbre laboratoire de la Nasa à Pasadena en Californie. Aujourd’hui ingénieur Antenne à la Nasa, il travaille sur plusieurs programmes majeurs, dont la mission franco-américaine Swot avec le Cnes(2). Il a également développé des antennes originales pour les deux minisatellites MarCo qui seront les premiers “CubeSat” (minisatellites cubiques d’une trentaine de centimètres) envoyés sur Mars.

Thèse : Antenne, propagation et interaction avec le corps pour les applications de type réseaux corporels sans fil en micro-ondes et en millimétrique.
Nicolas Guillas

(1) Notamment le 1er prix de thèse EEA en électronique, décernée par le Club des enseignants et chercheurs en électronique, électrotechnique et automatique, 2013.
(2) Centre national d’études spatiales.

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