Le climat lu dans l’eau

N° 337 - Publié le 21 mars 2017
D.FARINOTTI/GFZ/WSL
Les glaciers du Tien Shan (massif de l'Himalaya) ont perdu en moyenne 5.4 milliards de tonnes de glace par an depuis les années 60.

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Des géologues arrivent à tirer des informations sur les climats passés et futurs dans les eaux profondes et glaciaires.

Ce liquide noir dans un flacon sur le bureau de Luc Aquilina, chercheur au laboratoire Géosciences Rennes (1), n’est pas du pétrole. C’est une eau trouvée en 2012 à 700 m de profondeur, dans un forage situé à Chartres-de-Bretagne (sud de Rennes). Outre sa couleur étrange, cette eau possède une autre particularité : elle est plus salée que la moyenne. Elle contient 1 g/l de sel, ce qui est inférieur à la concentration de l’eau de mer (35 g/l) mais beaucoup plus élevé que les eaux douces classiques (quelques dizaines de mg/l). Une telle concentration ne peut pas être due à de l’évaporation, ni à des traces d’activité humaine... Ce sel ne peut venir que de la mer. Mais quelle histoire, liée au climat, a bien pu avoir cette eau pour se trouver aujourd’hui près de Rennes à presque un kilomètre de profondeur ?

Luc Aquilina et ses collègues se sont donné pour objectif de le comprendre, dans le cadre d’un projet mené avec d’autres chercheurs du BRGM (2) de Rennes et d’Orléans. « Grâce à une base de données nationale, nous avons eu la confirmation que la salinité augmente bien avec la profondeur sur un grand nombre de forages en Bretagne, explique-t-il. Nous avons ensuite superposé les localisations de ces forages et une carte des zones qui étaient recouvertes par la mer entre 5 et 2 millions d’années (3). Là encore, la correspondance était parfaite. »

 

L’origine marine de l’eau

Et l’origine marine de l’eau confirmée. Les chercheurs ont ensuite choisi douze de ces sites pour prélever de l’eau et réaliser des mesures en laboratoire. Ils ont utilisé différentes méthodes de datation et, à partir de la concentration de certains gaz atmosphériques contenus dans l’eau, ils ont réussi à déterminer la température au moment où cette eau s’est infiltrée. « Nous obtenons des températures de l’ordre de 4 °C, et même parfois plus proches de zéro. » Ces résultats mettent en évidence une deuxième circulation d’eau glaciaire cette fois, durant la période de déglaciation, il y a 17000 ans. Une eau qui a dû couler dans les grandes failles et qui est venue diluer l’eau d’origine marine qui s’était infiltrée au sein de toute la roche. Tandis que les eaux modernes se situent plus en surface. « Au final, nous n’avons pas découvert de nouveautés fondamentales sur le climat, mais nous avons une meilleure compréhension des transferts d’eau à l’échelle de la région, souligne Luc Aquilina. Ces travaux(4) montrent ainsi que les modifications liées à des changements climatiques majeurs et anciens sont visibles au-delà de quelques centaines de mètres mais que les modifications introduites par l’homme en quelques dizaines d’années sont déjà visibles sur plusieurs dizaines de mètres de profondeur depuis la surface. »

Pas loin de là, toujours dans le laboratoire Géosciences Rennes, Laurent Longuevergne s’intéresse à un autre type d’eau : celle des glaciers du Tien Shan, au nord du massif de l’Himalaya, considéré comme un “château d’eau” pour les régions agricoles voisines. Voilà douze ans que le géodynamicien y relève des données de gravimétrie par satellite (5). « La gravimétrie consiste à mesurer les variations infimes de l’attraction terrestre dues à des différences de répartition des masses d’eau », explique-t-il.

 

Le château d’eau du monde

Complétées par une autre approche géométrique (mesures optiques de la variation de l’altitude des glaciers par altimétrie laser), et des données acquises sur le terrain, ces données ont servi à valider un modèle glaciaire et à déterminer l’effet du climat sur ces ressources critiques en eau. « Ces résultats sont le fruit d’un travail collaboratif entre hydrologues, glaciologues, spécialistes de satellites de plusieurs pays... qui a permis de prendre en compte toutes les incertitudes », explique le chercheur. Grâce au modèle, les chercheurs ont reconstruit une série de stocks d’eau glaciaire sur les cinquante dernières années. Résultat : la diminution globale de masse glaciaire observée depuis les années 60 s’accélère.

Cette perte peut être due à un approvisionnement moindre en neige ou bien à une fonte plus importante. Mais au vu de l’augmentation globale de la température sur la Terre et des précipitations sur cette zone, les chercheurs suggèrent que la perte de masse est plutôt la conséquence d’une accélération de la fonte. Et cela est particulièrement préoccupant pour ce type de glacier, dont les périodes d’accumulation d’eau et de fonte se concentrent dans la même saison : car même s’il pleut plus, l’augmentation de température fait que cette eau ne reste pas sous forme de neige sur le glacier. « C’est d’autant plus préoccupant que le modèle permet de se projeter sur le long terme et que les stocks d’eau restent à la baisse. Même si une augmentation peut être observée pendant deux ou trois ans, c’est bien vers une fonte globale que le modèle tend », assure le chercheur. Alors que les interactions entre océans et climat sont déjà bien étudiées, ces deux exemples illustrent l’importance de l’eau douce dans les problématiques climatiques : comme support de recherche au même titre que les carottes de sédiments d’eaux douce ou de mer, et comme enjeu crucial pour les populations. Le nombre de personnes tributaires de la fonte annuelle des glaciers est en effet estimé à plus d’un milliard (Asie et Amérique du Sud).

Trois climats

Le climat du passé :

"La mémoire humaine est sélective, mais en climatologie, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur des mesures répertoriées par des médecins, des moines et des savants dès le 18e siècle (1). Grâce à leur sauvegarde et leur numérisation, ces observations sont disponilbes de manière parcellaire", souligne Franck Baraer, responsable du service études climatiques de Météo-France à Saint-Jacques de la Lande. Un gros travail d'homogénéisation, par traitement statistique, est ensuite effectué pour reconstruire de grandes séries de données. Cela a été fait sur les soixantes dernières années (avant, les données sont trop dispersées) et permet de visualiser les évolutions du climat et de replacer les évènements extrêmes sur une longue durée.

Le climat du présent :

Météo-France est un gros pourvoyeur de données. Un réseau des mille stations réparties dans tous le pays fournit des données en temps réel et alimente une base de données climatiques conséquente, basée à Toulouse, dont une copie se trouve à Lannion.

Les futurs du climat :

Ils sont déterminés grâce à des modèles numériques alimentés par les données receuillies et par les différents scénarios envisagés par le Giec (2), tenant compte, par exemple, des émissions de gaz à effet de serre.

 

(1) Les données les plus anciennes exploitées par Météo-France datent de 1688 et sont issues de l'Observatoire de Paris

(2) Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

Nicolas Guillas
Franck Baraer
franck.baraer@meteo.fr
Nathalie Blanc

(1) Osur (Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes), Université de Rennes 1/ CNRS.
(2) Bureau de recherche géologique et minière.
(3) Aussi appelées les zones de transgression marine.
(4) Publiés dans Scientific Reports (groupe Nature) en septembre dernier.
(5) Satellites Grace : Gravity Recovery and Climate Experiment.

Luc Aquilina
02 23 23 67 79
luc.aquilina@univ-rennes1.fr

Laurent Longuevergne
02 23 23 65 46
laurent.longuevergne@univ-rennes1.fr

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