«Le doute et l’esprit de nuance me travaillent en permanence.»

Portrait

N° 348 - Publié le 11 janvier 2017
Service communication/Université Rennes 2
L'épreuve par 7
Nicolas Thély

Professeur en art, esthétique et humanités numériques(1)

Magazine

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Qu’auriez-vous fait si vous n’aviez pas été chercheur ?

Journaliste ou grand reporter dans le domaine de la culture et des faits sociétaux. Ce que j’ai fait en partie dans les rédactions du Monde et des Inrockuptibles, avant de faire le choix d’embrasser une carrière universitaire.

Aujourd’hui, qu’avez-vous trouvé ?

Des concepts provisoires pour qualifier des pratiques artistiques et culturelles comme l’esthétique de la basse définition. Avec Internet, nous fréquentons quotidiennement des données - images, sons, textes - dégradées. Cela a fortement modifié notre sensibilité et nous compensons l’imperfection en y réinjectant de l’imaginaire et un désir sans fin de relations sociales plus directes.

Le hasard vous a-t-il déjà aidé ?

Dans ma pratique de recherche, la critique artistique, on parle plutôt de contingence que de hasard. Mes objets d’étude sont le plus souvent des cas singuliers qui dépendent de circonstances particulières. De fait, un esthéticien consigne, examine, évalue et interprète des pratiques qui auraient pu ne pas être.

Qu’avez-vous perdu ?

Certaines conditions de travail. Je vois autour de moi de plus en plus de collègues pressés et stressés et je le suis moi-même. La satisfaction n’est plus souvent au rendez-vous... Cela peut nous faire perdre l’essence même de notre métier. La recherche doit rester un plaisir.

Que faudrait-il mieux ne pas trouver ?

Quand on pose cette question, il est déjà trop tard ! Je vais être provocateur mais je pense à deux choses : les chaînes d’informations continues et les smartphones. Ils nous conduisent à faire l’expérience d’un présent qui s’épuise sur lui-même. Sur les chaînes d’informations, une actualité en chasse une autre de manière frénétique, de même qu’un événement peut occuper les programmes une semaine entière. La pratique répétée du scrolling(2) sur nos smartphones m’interroge : on creuse, on creuse... pour aller chercher quoi au final ?

Quelle est la découverte qui changerait votre vie ?

Je pense qu’il faut distinguer la découverte de l’innovation qui va en découler. C’est là où les valeurs de l’humanisme jouent un rôle fondamental.

Qu’est-ce qui vous ferait douter de la rationalité ?

Le doute et l’esprit de nuance me travaillent en permanence. J’ai identifié deux cas de crise de la faculté de penser qui me conduisent à la recherche de la rationalité. La sidération : comment la violence et le surgissement d’événements, comme les attentats, peuvent terrasser notre capacité à comprendre. Et la fascination : quand quelque chose m’éblouit ou me plaît d’emblée, cela m’effraie. Je cherche à comprendre pourquoi.

PROPOS RECUEILLIS PAR Nathalie Blanc
Le directeur de la Maison des sciences de l’homme en Bretagne a été interviewé par Nathalie Blanc.

(1) Lire le dossier p. 10 à 18.
(2) Action qui consiste à faire défiler une page vers le bas de l’écran pour y voir un contenu qui se trouve en dehors.

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