Objectif : publier des articles

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N° 349 - Publié le 8 février 2017
Nicolas Guillas
Sous format papier ou en ligne, la publication d’articles en sciences dures est basée sur le principe de l’auteur-payeur.

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La publication permet aux chercheurs en sciences dures de diffuser leurs découvertes et d’être reconnus. Mais la réalité est plus complexe.

La publication scientifique est en plein bouillonnement. Les chercheurs peuvent aujourd’hui diffuser librement un article sur Internet (1), même s’ils l’ont d’abord publié dans une revue scientifique, comme le précise la nouvelle loi pour une République numérique (2). Cette évolution inquiète les éditeurs. Le CNRS, dont les chercheurs ont soutenu cette évolution législative, publie un livre blanc (3) qui plaide pour un “droit de l’open science garantissant le libre accès et la libre réutilisation des données de la recherche publique”. L’Inra (4) veut aussi favoriser ce libre accès à la connaissance.

Cette évolution intervient tandis que de nombreux chercheurs ne sont plus à l’aise avec le système de publication actuel. « Il s’est dévoyé, mais l’idée initiale était bonne, analyse le professeur de biochimie Reynald Gillet, directeur de l’IGDR (5). Les chercheurs ont mis en place ce système d’évaluation et de diffusion, basé sur les revues scientifiques. Cela fonctionnait bien, mais c’était trop lent. En biologie, il se déroulait parfois un an entre une découverte et sa publication. »

 

1500 dollars l’article

Dans les années 2000, l’accès aux revues spécialisées sur Internet a été « un grand bonheur pour les chercheurs, rappelle le biologiste. La soumission d’articles était dématérialisée, la relecture plus rapide, nous accédions à plus de journaux et plus d’articles. Mais il fallait continuer à payer les abonnements. » Puis l’open access sans papier a émergé avec des revues comme Plos One et Frontiers. « L’idée de l’accès gratuit à la science était sublime. Tous les articles peuvent être lus partout dans le monde. Mais l’open access est devenu très cher pour les chercheurs. » Comme pour les revues scientifiques traditionnelles, ce type d’open access est en effet basé sur le principe de l’auteur-payeur. Problème, le coût d’un article a grimpé de façon exponentielle : publier dans Plos One coûte aujourd’hui 1500 dollars pour un chercheur et jusqu’à 2500 dollars dans Frontiers.

Au final, les chercheurs payent pour écrire, pour lire les articles... sans être rémunérés quand ils participent au comité de lecture des mêmes revues. « Pourquoi acceptons-nous ? Parce que l’évaluation de nos recherches est basée sur des données bibliométriques, notamment le facteur d’impact », poursuit Reynald Gillet. Le facteur d’impact (FI) d’une revue est le nombre moyen de citations d’un article dans d’autres articles scientifiques. Aujourd’hui, si un chercheur ne publie pas ses travaux dans des revues au FI élevé, il ne sera pas sélectionné lors d’un recrutement et perdra la course aux crédits, face à des laboratoires ou chercheurs concurrents.

« En moins de cinq ans, le facteur d’impact est devenu un argument majeur pour que les chercheurs s’évaluent entre eux, s’étonne la physicienne Maud Guézo, chercheur en photonique à l’Insa (6) à Rennes. Tant que vous n’avez pas publié dans des revues au FI supérieur à 5, des confrères refusent même de discuter avec vous. C’est grave ! À la fin de 2015, j’ai signé un article dans une revue avec un FI de 17. Tout de suite, on m’écoute, on trouve mes recherches intéressantes. » Une situation étonnante car le FI d’un journal scientifique n’est pas forcément lié à l’excellence de celui qui y écrit. « Ce critère mesure la notoriété d’une revue, mais pas la qualité du travail d’un chercheur, complète Reynald Gillet. Un article sur deux n’est jamais cité par la suite et, même dans Nature, de nombreux articles ne sont pas de qualité. Certains d’entre eux comptent de très nombreux auteurs. Et l’accès à ces revues dépend du réseau du chercheur. »

Cet indice est aussi biaisé car certains domaines de pointe, en chimie par exemple, comptent peu de chercheurs : même s’ils sont performants, ils exposent leurs découvertes parfois majeures dans des revues si spécialisées que leur FI est inférieur à 5. Pour qu’une revue soit considérée comme valable, son facteur d'impact dépend du domaine scientifique concerné : un FI de 2 est une performance pour une revue en minéralogie, tandis que le FI d’une bonne revue en médecine doit caracoler à 20, au moins.

 

Les sujets à la mode

Conséquence, les scientifiques sont tentés de choisir les sujets qui garantissent des citations en cascade. « Cette course à la publication dans les journaux à fort facteur d’impact s’est imposée aux chercheurs par les circonstances, analyse un chercheur expérimenté en chimie. Ils n’ont pas le choix : s’ils veulent obtenir des budgets, ils doivent publier rapidement sur des sujets à la mode. Nous laissons ainsi de côté des pans entiers de domaines de recherche, en sacrifiant l’avenir. » Maud Guézo complète : « La recherche doit rester libre. Mais nous sommes coincés par les éditeurs. » La situation pourrait évoluer avec la nouvelle loi et des initiatives comme celles du CNRS et de l’Inra. Les acteurs universitaires vont dans le même sens : l’Université de Rennes 1 valorise activement les archives ouvertes (7). Cet open access vraiment gratuit, pour l’auteur et le lecteur, peut changer la donne. « Le moteur de base du chercheur est la curiosité, rappelle le chercheur en chimie. Il veut trouver des choses originales. Pas forcément la même chose que le voisin en allant plus vite. »

Nicolas Guillas

(1) Si leurs recherches sont financées à plus de 50 % par des fonds publics et après un embargo de 6 à 12 mois.
(2) www.economie.gouv.fr/ republique-numerique.
(3) Une science ouverte dans une République numérique : étude et propositions en vue de l’application de la loi.
(4) https://seminaire.inra.fr/publier.
(5) Institut de génétique et développement de Rennes.
(6) Institut national des sciences appliquées.
(7) https://openaccess.univ-rennes1.fr.

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