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Inra/Sylvie Toillon

Une seule santé pour tous

N° 349 - Publié le 8 février 2017

Magazine

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L’homme et l’animal peuvent partager les mêmes maladies et les mêmes traitements, pour le meilleur et parfois pour le pire...

Depuis le 24 novembre 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) est en alerte. En particulier à Ploufragan, près de Saint-Brieuc, où se trouve le laboratoire national de référence en matière de surveillance et de lutte contre les épidémies animales affectant les porcs, les lapins et les volailles. « Le virus Influenza H5N8 (1) occupe la moitié de mon temps, affirme Gilles Salvat, le directeur du laboratoire. Probablement transmis par un oiseau sauvage, il est arrivé au plus mauvais endroit en France : un élevage de canards du sud-ouest où les animaux sont en liberté. » Les analyses génétiques ont montré qu’il est proche d’un virus présent dans l’est de l’Europe, en Hongrie et en Croatie. « Pour l’instant, il est hautement pathogène chez le canard et les autres oiseaux mais pas chez l’homme. Mais il peut le devenir s’il circule trop longtemps et qu’il subit des mutations génétiques. » C’est pourquoi l’Anses veille. À Ploufragan, plus de mille échantillons issus de plus de deux cents élevages ont fait l’objet d’analyses génétiques.

 

Hébergement et échanges de bactéries

Depuis les différents épisodes de crises sanitaires (grippe aviaire H5N1 en 2006, H1N1 pandémique en 2009, Chikungunya, Zika...), liées à des cas de maladies transmissibles de l’animal à l’homme, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) communiquent sur le concept One Health, une seule santé, pour montrer combien il est important de mener de front les luttes pour la santé humaine et la santé animale.

Car ces épidémies animales (ou zoonoses) ne sont pas les seuls cas de liens entre la santé animale et la santé humaine. Vivant dans un même environnement, l’homme et l’animal hébergent et se transmettent de nombreux autres virus et bactéries, responsables, ou non, de maladies... Rarement pathogènes, voire même inoffensives chez l’animal, et transmises par l’alimentation, les bactéries du genre Salmonella et Campylobacter sont, par exemple, responsables de la majorité des cas de diarrhées chez l’homme en France et en Europe. Ces deux-là sont donc très surveillées par l’Anses et les services déconcentrés de l’État (Direction départementale de la protection des populations), qui donnent l’ordre de retirer de la commercialisation les produits présentant un risque pour la consommation humaine.

 

Depuis la découverte de la pénicilline

Mais, outre la transmission de maladies, la transmission de l’antibiorésistance - cette capacité qu’ont les bactéries à muter ou acquérir des gènes de résistance pour éviter et/ou détourner le mode d’action des antibiotiques (2) - est aussi très étudiée car très préoccupante. Le phénomène de résistance est ancien et bien connu (lire Comprendre p. 13). Il a été mis en évidence très rapidement après la découverte de la pénicilline par Fleming en 1928. La transmission de cette résistance se fait le plus souvent par voie d’échange de matériel génétique entre les bactéries. En ville et dans les élevages, médecins et vétérinaires prescrivent les mêmes familles d’antibiotiques. Et quand des gènes de résistance apparaissent, ils passent de l’homme à l’animal et de l’animal à l’homme par le biais des bactéries. « Les bactéries sont de véritables valises à gènes !, explique Gilles Salvat. Et si des bactéries pathogènes comme Salmonella et Campylobacter sont très surveillées, il est beaucoup moins facile de suivre des non-pathogènes comme certains Escherichia coli présents de façon abondante dans nos tubes digestifs. Celles-ci transitent incognito, via l’alimentation. C’est donc notamment en mangeant que l’on récupère des gènes de résistance, mais également et surtout par le mésusage de ces antibiotiques dans le traitement des maladies de l’homme... ! »

 

Un phénomène pas irréversible

À Fougères, le laboratoire de l’Anses surveille l’évolution de la résistance (lire ci-dessous). Si le lien entre l’usage des antibiotiques et la résistance a été prouvé, le lien entre l’arrêt des traitements et la baisse de la résistance a aussi été établi, particulièrement dans les élevages. Même si la baisse de la résistance n’est pas aussi rapide que la montée, elle est bien significative et c’est une bonne nouvelle : le phénomène de résistance n’est pas irréversible. Une fois ce lien prouvé, il faut former et convaincre les vétérinaires et les éleveurs de ne plus utiliser systématiquement des antibiotiques en prévention.

« On assiste à une prise de conscience des éleveurs, poursuit Gilles Salvat. D’abord les éleveurs sont des êtres humains qui peuvent tomber malades et être confrontés à l’antibiorésistance. Et puis ils réalisent que l’utilisation des antibiotiques a mauvaise presse. Nous nous rapprochons des sociologues de l’Université Rennes 2 pour travailler sur le type de message et de formation à leur faire passer. »

Il existe en effet d’autres méthodes pour prévenir les maladies, comme le changement de certaines pratiques d’élevage : à Saint-Gilles, les chercheurs de l’Inra travaillent sur les élevages de porcs, tandis qu’à Ploufragan, l’Anses teste des nouvelles pratiques sur les volailles dans sa station expérimentale (lire p. 14). L’introduction de nouveaux produits dans l’alimentation est aussi à l’étude : probiotiques ou algues pour stimuler les défenses immunitaires des animaux (lire p. 16 et 17). Enfin, l’Anses a montré qu’en aviculture, les bénéfices économiques d’un traitement antibiotique préventif sont nuls. Tous les signaux sont décidément au vert pour limiter l’utilisation des antibiotiques à un usage curatif, comme l’a voté le Parlement européen en mars 2016.

Nathalie Blanc

(1) Influenzavirus A, de la “grippe A” ou grippe aviaire.
(2) Les antibiotiques sont utilisés pour traiter des infections d’origine bactérienne.

Gilles Salvat, tél. 02 96 01 62 22, gilles.salvat@anses.fr

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