Le CHU de Brest se distingue au niveau national par son approche interdisciplinaire des maladies de la peau.
La peau n’est pas binaire. Saine ou malade. Dans l’ombre de l’intime ou sous l’éclairage du dermatologue. La peau raconte notre histoire, donne à voir notre personnalité. Elle nous enveloppe, se laisse toucher, nous procure de douces sensations mais aussi de désagréables perceptions... La peau constitue tout un univers autour duquel gravitent différentes approches.
Ainsi, à Brest, le dermatologue Laurent Misery a eu l’idée de connecter un florilège de disciplines : dermatologie, histologie, épidémiologie, psychologie, pharmacologie, sociologie... Il est parti du constat que toutes ces approches présentent un intérêt pour comprendre et prendre en charge la peau et que, réunies, elles en apprennent davantage sur un symptôme et sur un patient.
En 2012, il a fondé le Laboratoire de neurosciences de Brest devenu en 2017 le Laboratoire interactions épithéliums neurones. Ce dernier s’appuie sur le service de dermatologie de l’hôpital Morvan, dont Laurent Misery est chef de service, et réciproquement. L’objectif est de proposer aux patients une approche médicale globale et d’effectuer des recherches fondamentales pluridisciplinaires.
Des consultations conjointes
D’un point de vue médical, les approches se croisent. Les patients peuvent ainsi rencontrer des spécialistes de plusieurs domaines, selon leurs symptômes. Par exemple, leur sont proposées des consultations conjointes avec une dermatologue et une psychiatre, parce que les symptômes liés à la peau sont souvent mal vécus. Parfois, ils sont même liés au psychisme. « Consulter à deux aide à mieux comprendre ce qui se passe pour le patient et à prendre en charge plus globalement sa pathologie et ses symptômes, témoigne la psychiatre Myriam Chastaing. La plupart des patients n’irait pas consulter un psychiatre ni un psychologue parce qu’ils n’y pensent pas ou parce qu’ils ne se sentent pas concernés. Et pourtant, souvent nous pouvons leur apporter une aide. » Avec Martine Schollhammer, dermatologue libérale à Brest, elle reçoit une fois par semaine des adultes, en consultation conjointe au sein de l’hôpital Morvan à Brest. Une autre consultation conjointe, pour enfants, est proposée une fois par mois.
Une approche humaine
D’une façon générale, « il est important de situer le patient, non seulement dans son contexte médical et psychologique, mais aussi social et historique, commente Laurent Misery. Mieux comprendre ce qu’il peut vivre rend les praticiens plus ouverts et plus aptes à proposer des prises en charge plus adaptées à la personne. »
Ainsi, les sciences humaines et sociales occupent pleinement leur place dans cette approche croisée. Le dermatologue Laurent Misery a d’ailleurs fondé avec le sociologue rennais Stéphane Héas la Société française des sciences humaines sur la peau pour promouvoir les rencontres entre la médecine et les sciences humaines sur la peau.
La clinique au chevet de la recherche
Du point de vue de la recherche fondamentale, les disciplines s’associent également autour de la peau. Ainsi le Laboratoire interactions épithéliums neurones réunit pas moins d’une cinquantaine de chercheurs. Certains travaillent exclusivement au sein du laboratoire. D’autres exercent aussi à l’hôpital. Et quelques praticiens libéraux s’associent ponctuellement aux approches conduites par le laboratoire et le service de dermatologie, comme Martine Schollhammer et Myriam Chastaing.
Cette association représente une force pour la recherche expérimentale qui peut même s’appuyer directement sur la recherche clinique menée à l’hôpital. Ainsi, l’approche de médecine clinique conduite par Émilie Brenaut (lire ci-contre) permet de vérifier des hypothèses du Laboratoire d’évaluation du risque chimique pour le consommateur (Lercco), par exemple, sur l’effet de produits cosmétiques sur les peaux sensibles.
D’une façon générale, à Brest, la peau est vraiment perçue comme un tout, reliant toutes les disciplines. Et c’est à ce titre que Laurent Misery a reçu la distinction Herman Musaph(1), récompense de psychodermatologie pour l’ensemble des ses travaux, à l’occasion du congrès de la Société européenne de dermatologie et psychiatrie qu’il organisait à Brest en juin dernier.
Pas qu’une approche médicale
Anthropologie, histoire, psychologie, histoire de l’art... « Il nous a semblé utile de rassembler, au-delà de la médecine et de la biologie, pour travailler sur la peau », commente Laurent Misery, fondateur avec le sociologue rennais Stéphane Héas de la Société française des sciences humaines sur la peau (SFSHP). « D’une part, parce qu’il existe déjà des travaux en médecine et en biologie sur le sujet et, d’autre part, parce que cette ouverture permet une approche beaucoup plus large de la peau. La perception des maladies et des patients n’est pas la même selon le groupe social, la région, l’époque...»
Créée en 2006, la SFSHP organise des rencontres(2) entre médecins et représentants des sciences humaines et sociales, autour de la thématique de la peau, comme le 25e Forum peau humaine et société qui s’est déroulé à Brest en juin dernier. Stéphane Héas va prochainement créer une société francophone basée sur le même modèle, afin d’élargir les échanges aux chercheurs étrangers : « Il y a, par exemple, des recherches intéressantes en sociologie sur le thème de la peau au Maghreb », cite-t-il.
laurent.misery@chu-brest.fr
Stéphane Héas, stephane.heas@univ-rennes2.fr
(1) Le psychiatre néerlandais Herman Musaph (1915-1992) est l’un des fondateurs de la psychodermatologie. Aux Pays-Bas une fondation, portant son nom, poursuit ses travaux.
(2) Ces rencontres ont donné lieu à la publication d’un ouvrage en deux tomes, Variations sur la peau, par Stéphane Héas et Laurent Misery, publié en 2007 et 2008 aux éditions L’Harmattan.
Laurent Misery, tél. 02 98 22 35 27,
laurent.misery@chu-brest.fr
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