Un village côtier de 8000 ans

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N° 356 - Publié le 6 novembre 2017
Grégor Marchand
À proximité du port de Quiberon (arrière-plan), Beg-er-Vil est un site préhistorique fragile, menacé par la mer qui grignote la falaise.

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Au bout de la presqu’île de Quiberon, une hutte, témoin de la vie domestique, a été découverte dans un site mésolithique rarissime.

Une seule habitation du mésolithique a été découverte en France. C’est une hutte, plantée à la pointe de la presqu’île de Quiberon (Morbihan). La fouille du site de Beg-er-Vil, réalisée par Grégor Marchand et Catherine Dupont, archéologues au Creaah(1) à l’Université de Rennes 1, l’a révélée cette année et fait l’objet d’une publication(2).

Protégé par la dune, ce site est un amas coquillier. Dans ce tas de coquillages d’environ quinze mètres sur dix, jetés par des hommes, leurs détritus sont conservés sur 50 cm d’épaisseur. La Bretagne compte quatre amas de ce type, dont celui de l’île proche de Téviec et sa célèbre nécropole(3). Celui de Beg-er-Vil, plus ancien, est daté de 8000 à 8200 ans, d’après une datation par le radiocarbone sur des charbons. Chaque année depuis 2012, une trentaine de personnes creusent le site en avril-mai, puis quinze personnes finalisent les tris et l’analyse au laboratoire (post-fouille). Avec les 130 m2 de l’amas lui-même, ce sont 600 m2 qui ont été fouillés au total. Plus de deux tonnes de sédiments, dont une partie encore stockée, sont passées au tamis. L’analyse de tous les indices par des spécialistes sera finalisée dans trois ans.

Une hutte verticale

Le bord de la hutte était apparu en 2015, près de la lisière de l’amas. Elle a été dégagée cette année, ainsi que son foyer. « Nous n’avions aucune idée de la forme de l’habitat mésolithique, explique Grégor Marchand. Il n’y a pas d’autre exemple en France. Seules deux grandes structures ont été découvertes à l’ouest de l’Europe, au Portugal et en Grande-Bretagne. » La hutte s’inscrit dans un cercle de 3,50 m de diamètre, marqué par 35 trous verticaux. Les piquets repliés vers le centre à leur sommet, étaient reliés par un treillage horizontal. « Une maison donne beaucoup d’informations sur la manière dont les gens vivent. Cette hutte devait abriter une famille. » L’archéologue la compare avec celles des Indiens des Grands Lacs du nord-est américain. Cette hutte est l’indice d’un village.

60000 silex

Les fosses creusées dans le site, où des feux ont été allumés, sont truffées d’informations. Elles sont rares pour l’époque : il y en a soixante-trois dans le grand Ouest, dont treize à Beg-er-Vil. « Les fosses sont des milieux clos et non piétinés, qui se remplissent de sédiments en quelques années seulement, explique Catherine Dupont, spécialiste de l’étude des coquillages et coordinatrice du tri. Tout ce qu’elles contiennent est contemporain d’une époque. » Leurs indices racontent une époque charnière : celle des derniers chasseurs-cueilleurs maritimes, quelques siècles avant la révolution de l’agriculture (néolithique) et la civilisation des mégalithes.

Plus de 60000 objets en silex ont été découverts, essentiellement des pointes de flèches, mais aussi des couteaux, dont une lame de 8 cm, des nucléus (blocs de silex restés après la taille) et des percuteurs (marteaux). Une trentaine d’espèces de coquillages ont été identifiées. Les plus consommées étaient la moule, l’huître, la patelle (bernique), le bigorneau et la monodonte. Des algues étaient amenées sur le site, comme le prouve la présence de coquillages minuscules, qui y vivent accrochés. Une vingtaine de coquillages, les espèces cyprée et littorine obtuse, ont servi de parures. Les mêmes bijoux habillaient les défunts de Téviec, quelques siècles plus tard. « Nous découvrons ici toute la vie domestique, qui n’avait pas été vue sur l’île de Téviec, lors de la fouille par les Péquart en 1928. Et pourtant, ce site était aussi un lieu de vie, pas seulement une nécropole », souligne Grégor Marchand.

Des restes de poissons, comme des arêtes ou des dents de daurades et de roussettes, étaient cachés parmi les coquilles. Les chasseurs-navigateurs se nourrissaient aussi de phoques, d’oiseaux de mer, surtout de canards, mais ils cuisinaient également le chevreuil et le sanglier. Ils restaient peut-être de longs mois sur place, même si la situation a dû évoluer durant le siècle de présence estimée.

Trouver de l’ADN

Lors d’une première fouille en 1987(4), Beg-er-Vil avait révélé une clavicule humaine. Puis un os de la tempe (temporal) était trouvé cette année. Et si l’ADN des êtres vivants passés sur ce site pouvait parler ? La science permet aujourd’hui cette approche révolutionnaire. En avril prochain, avec la généticienne Morgane Ollivier, du laboratoire Écobio(5), les archéologues vont utiliser une carotteuse. À plus d’un mètre sous la dune, des tubes de terre seront extraits. S’ils contiennent de l’ADN ancien préservé, ils pourraient révéler d’autres trésors.

La prochaine campagne de fouille aura lieu en mai 2018. Nul doute que la population locale sera au rendez-vous. Un engouement populaire s’est noué autour du chantier, soutenu logistiquement par la mairie de Quiberon. Chaque année, plus de 500 personnes viennent échanger avec les archéologues qui fouillent.

Nicolas Guillas

(1) Centre de recherche en archéologie, archéosciences, histoire. UMR CNRS/Université de Rennes 1. (2) Journal of Archaeological Science, juillet 2017.
(3) Lire Sciences Ouest n° 319-avril 2014 (www.espace-sciences.org/sciences-ouest/319).
(4) Par Olivier Kayser.
(5) Unité mixte de recherche Écosystème, biodiversité, évolution-Université de Rennes 1, CNRS, membre de l’Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes (Osur).

Grégor Marchand,
tél. 02 23 23 66 10
gregor.marchand@univ-rennes1.fr

Catherine Dupont
tél. 02 23 23 66 92
catherine.dupont@univ-rennes1.fr

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