Et si on lâchait les écrans, pour regarder les usages du numérique ?

Carte blanche

N° 410 - Publié le 1 juin 2023
Jeune fille qui regarde un écran
Adobe Stock
Séverine Erhel
Carte blanche
Séverine Erhel
Enseignante-chercheuse en psychologie cognitive à l'Université Rennes 2

Magazine

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Mes interviews commencent souvent par une question sur les effets des écrans sur le cerveau des enfants et des adolescents. C’est une question légitime mais à laquelle il m’est difficile de répondre car le terme “écran” pose problème. Dans le rapport de l’HCSP1 (2020), la notion d’écran est définie comme « une interface entre un observateur passif, ou rendu actif, et un ensemble infini et permanent d’images, de messages, de connaissances, d’émotions, de mises en relation et de stimulations comportementales ». Ici, on englobe indifféremment la télévision, les tablettes, la console de jeu, les smartphones… mais aussi la montre connectée ou les écrans publicitaires. Au sein de ces dispositifs d’affichage numérique viennent se greffer des usages variés comme les réseaux sociaux, le shopping, la vidéo à la demande, la musique, les jeux vidéo, le dating et les apprentissages. On comprend donc aisément que cette notion des “écrans” est un fourre-tout qui ne renvoie à rien de très précis. 

Temps difficile à estimer

Parfois, on me demande aussi de donner un chiffre correspondant au temps idéal avec les écrans ? La réponse est 42. Non, plus sérieusement, le temps écran est une notion pour le moins très floue. Le premier problème est qu’en réalité, il est difficile de dichotomiser strictement les comportements réalisés avec le numérique de ceux réalisés dans le monde réel avec des humains. Si un adolescent commente une vidéo YouTube avec un ami, les échanges dans la vie réelle vont être médiés à travers l’application, ce qui rend difficile l’estimation du temps écran. Si on considère tout de même qu’il s’agit d’une entité qui a du sens, il faut comprendre que ce temps écran reste une mesure pauvre qui ne permet pas de connaître les usages et notamment de distinguer les pratiques enrichissantes, éducatives et divertissantes de celles qui sont stériles voire délétères pour les individus. En conséquence, le temps idéal d’usage du numérique n’existe pas. Si on peut convenir que six heures d’écran est excessif, poser une recommandation à une heure n’a pas tellement de sens non plus : une heure par jour pour un enfant ou un adolescent ? Pour jouer à Fortnite ou regarder un film ? On voit bien que cela dépend de l’activité et des individus considérés…

À mon sens, on devrait arrêter de parler des écrans et du temps écran pour s’intéresser aux effets de certaines activités ou pratiques numériques chez certaines catégories d'individus selon des contextes précisément identifiés. Cette posture permet de nous éloigner du déterminisme technologique considérant les technologies comme nocives pour notre société. Finalement, nous avons des activités bénéfiques telles que la socialisation avec les réseaux sociaux et des activités délétères comme le cyberharcèlement.

Changement de perspective

Pour les chercheurs comme les citoyens, il est maintenant temps d’affiner notre regard sur les technologies en considérant les impacts des activités. C’est uniquement dans ce contexte que l’on pourra proposer des recommandations sanitaires efficaces pour accompagner les jeunes dans leur vie numérique. Ce changement de perspective peut aussi nous amener à nous questionner sur certaines pratiques des entreprises du numérique qui capitalisent sur nos données, notre attention et notre argent. Par exemple, les monnaies virtuelles dans les jeux vidéo entraînent-elles de la confusion et des achats inconsidérés chez les enfants ? Les fils infinis des réseaux sociaux nuisent-ils à notre santé mentale ? Autant de questions qui ne peuvent être traitées que si l'on regarde au-delà des écrans. 

1. Haut conseil de la santé publique.

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