« Je parle moins de maths que de justice sociale »

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N° 418 - Publié le 28 mars 2024
© LAURENT GUIZARD
Après avoir observé le stage et réalisé des entretiens avec les participantes, la sociologue a voulu écrire un livre accessible aux premières concernées.

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Alors que de plus en plus de filles se détournent des mathématiques, Clémence Perronnet décortique les inégalités de genre et le sexisme qui entourent leur pratique, pour mieux les combattre.

Dans le cadre de la sortie de Matheuses. Les filles, avenir des mathématiques1, la sociologue Clémence Perronnet sera à Rennes les 2 et 3 avril pour rencontrer lycéens, grand public, chercheurs et futurs profs. L’occasion de « battre en brèche pas mal d’idées reçues », raconte celle qui a co-écrit ce livre au croisement de trois univers : la sociologie, les maths et les femmes.

Discriminations


Entre 2021 et 2022, la chercheuse a suivi 45 lycéennes participant à un stage de maths non-mixte, Les Cigales, qui vise notamment à les initier à la recherche en mathématiques. « Le pari, c’était d’aller regarder une toute petite population qui devient de plus en plus minoritaire : les filles de 16 ans qui font beaucoup de maths », précise Clémence Perronnet. Car en les rendant facultatives à partir de la 1e, la réforme du bac a provoqué un recul de 25 ans de la place des lycéennes dans la matière. En 2021, à 17 ans, une fille sur deux n’étudiait plus la discipline.

Trois types de personnes l’abandonnent progressivement à partir du lycée : les femmes, les personnes issues des classes populaires et celles issues des minorités. « Il y a des discriminations sexistes, élitistes et racistes dans l’accès à la pratique », résume la sociologue qui tient à rappeler que dans l’absolu, les maths ne sont pas plus importantes que les autres matières. « Il ne faudrait pas croire qu’il existe une supériorité naturelle des maths, mais c’est aujourd’hui la clé vers les meilleures études, les meilleurs emplois, les meilleurs salaires, ajoute-t-elle. Je parle moins de maths que de justice sociale, je défends moins l’accès aux maths qu’au savoir et au pouvoir. »

Le génie n’existe pas


Ces inégalités ne proviennent bien sûr pas d’écarts de capacités. « Derrière ce qu’on appelle le génie, on retrouve toujours du travail, de l’entraînement et de bonnes conditions matérielles », souligne Clémence Perronnet. La notion est d’ailleurs souvent associée au masculin, en maths comme dans toutes les disciplines à hautes capacités cognitives. « Dire que le génie ne s’explique pas est une excellente manière de justifier les inégalités », soupire la chercheuse. Une logique qui nourrit un cercle vicieux où les femmes moins éduquées aux maths réussissent moins bien, et sont donc jugées moins dignes d’être éduquées.

« Quand on comprend ça, on voit que le problème dépasse la discipline, il faut agir sans perdre de vue que c’est le sexisme global qui doit être ciblé », explique-t-elle. Les actions en non-mixité comme le stage des Cigales ont le mérite de créer des espaces où, soustraites au contexte habituel de violences et d’a priori sexistes, les filles peuvent prendre conscience du problème. Mais pour la sociologue, la solution réside surtout dans la transformation du secteur : « aujourd’hui, on demande beaucoup aux filles d’aimer les maths, mais on ne demande pas aux maths d’aimer les filles ».

Violette Vauloup

1. Clémence Perronnet, Claire Marc et Olga Paris-Romaskevich, CNRS Éditions (2024).

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