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Le retour des narvals

Rémy Marion

15 juin, la banquise se fracture de toutes parts sous les assauts du soleil estival.

Des chenaux s'ouvrent et se ferment au rythme des marées. Des vols de canards balayent l'horizon. L'été arrive. Des grondements résonnent aux limites de la banquise, frontière mouvante et souvent dangereuse.

Brusquement les eaux d'un chenal de trois mètres de large se mettent à bouillonner. Des lances percent la surface qui annonce des dos noirs. Les narvals sont là. Première apparition magique pour un animal de légende, nous sommes bien dans le repère de la licorne.

Ils sont des dizaines, surtout des mâles qui s'enfoncent sous la banquise toujours plus loin pour se nourrir dans les profondeurs. Parfois des dos blancs se mêlent aux dos sombres : les cousins des narvals - les bélougas - s'engouffrent dans les mêmes corridors.  Pour en savoir plus sur ces mammifères marins, je plonge mon hydrophone sous la banquise.

Le petit micro jaune traverse la couche d'eau superficielle laiteuse et s'enfonce vers les profondeurs. Aussitôt le casque semble pris de folie en diffusant une rumeur que le silence de la surface ne laissait pas présager. Des sirènes, des sifflements, des sonneries de téléphone  emplissent les eaux polaires. On  surnomme les bélougas les « Canaris des mers », il est vrai que la variété de leurs vocalises rappelle un volatile plutôt qu'un mammifère marin.

En fermant les yeux je m'imagine les reliefs sous la glace dans lesquels les phoques déambulent comme dans un dédale éphémère. La plateforme sur laquelle je suis est pour eux un toit qui filtre la lumière du soleil de juin. Ils traquent dans les corridors et sous les voûtes de glace les jeunes morues arctiques imprudentes. En surface c'est l'ours qui les attend patiemment posté, près à décocher un coup de patte meurtrier. Cette pensée me sort de ma rêverie et je scrute l'horizon pour déceler la présence éventuelle d'un ours en balade...