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El Niño en 97-98

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L'épisode El Niño 97-98

L'épisode El Niño 97-98 a été un des plus intenses jamais enregistrés. A partir d'une situation favorable identifiée par les scientifiques dès 1996, le phénomène s'est déclenché de façon très précoce et très brutale, pour culminer d'intensité à la fin de 1997 et décroître vers un épisode froid (appelé par analogie "La Niña") à la mi-98.

Les estimations préliminaires des dommages attribuables à El Niño font état de 22000 morts, 34 milliards de dollars de pertes en infrastructures, et de conséquences sociales, sanitaires, écologiques très lourdes. Le niveau de développement et d'organisation d'un pays influence largement le type de dommages subisLes modèles mathématiques utilisés par les scientifiques ont permis de décrire et de comprendre l'évolution du phénomène, mais leur capacité de prévision à moyen terme est encore limitée, notamment en ce qui concerne les facteurs responsables de son déclenchement.

En germe depuis 96, un El Niño intense et précoce se déclenche début 97...

Un El Niño intense naît debut 97...

Dès septembre 96, des alizés anormalement forts ont accumulé des eaux chaudes à l'Ouest du Pacifique, qui connaît des valeurs élevées du niveau moyen de la mer et de la température de surface. Lorsque ces vents se relâchent, changeant même de sens en début d'année 97, la masse d'eau chaude commence à se répandre vers l'Est : El Niño est en marche. A la mi-97, les scientifiques ont compris qu'il s'agit d'un événement exceptionnel : aucun des épisodes El Niño les plus remarquables du dernier demi-siècle n'a été aussi précoce ni aussi intense. 

Le réchauffement a déjà gagné l'ensemble du Pacifique central et oriental, accompagné d'une élévation du niveau de la mer de plus de 15 cm sur une étendue plus large que les USA. Les anomalies de température de surface (SST anomalies) atteignent des valeurs sans précédent depuis 50 ans, et le réchauffement est ressenti jusqu'en Alaska. Les répercussions climatiques ne se font pas attendre, avec le déplacement vers le centre du Pacifique des zones de convection et de pluviométrie maximales. 

El Niño 97-98 : le plus précoce et le plus intense...

Parmi les épisodes El Niño les plus intenses des quarante dernières années, celui de 97-98 a été celui dont le déclenchement a été le plus précoce et le plus brutal.

Évolution des anomalies de Températures de surface

 ... pour atteindre sa pleine extension en décembre...

Au tournant de l'année 1997, la situation dans le Pacifique présente toutes les caractéristiques d'un El Niño parvenu à maturité :

Une couche d'eau chaude sur l'ensemble du bassin océanique

La couche d'eau chaude est répandue sur tout  le Pacifique tropical ; elle est plus mince à l'Ouest et plus épaisse à l'Est, qu'en moyenne. La carte des anomalies de profondeur de la thermocline montre que, par rapport à la moyenne de la saison, cette couche limite (de température voisine de 20 °C) est plus proche de la surface à l'Ouest (en bleu) et plus profonde à l'Est (en marron), avec des écarts atteignant 40 mètres. 

Des fortes anomalies de température de surface à l'Est du Pacifique

L'écoulement de cette masse d'eau n'est pas apparente en surface à l'Ouest du bassin Pacifique, où le "réservoir d'eaux chaudes" maintient toujours une température élevée, peu différente de la situation moyenne (en blanc). Par contre, les anomalies de température de surface sont très fortes (jusqu'à 5 °C, en marron) le long de l'équateur sur toute la moitié Est de l'océan, et le long des côtes péruviennes. 

Un déplacement de l'activité de convection

L'énorme quantité de chaleur latente ainsi déplacée sur plusieurs milliers de kilomètres provoque une intense activité de convection sur le Pacifique central (en violet) et au contraire, un déficit notable sur l'archipel indonésien et l'ensemble des zones voisines du Pacifique et de l'Océan Indien (en marron et rouge). L'instabilité de l'air chaud et humide conduit au développement de masses nuageuses dont le sommet très froid est détecté par les satellites. 

 ...puis décliner en laissant la place à un épisode froid : La Niña.

Depuis janvier 98, El Niño est entré dans sa phase de déclin, avec le retour des alizés qui sont redevenus proches de la normale à la mi-mai sur la majeure partie du bassin. Les conditions El Nino ont faibli brutalement au cours de la deuxième quinzaine du mois de mai (la température dans le centre du Pacifique a diminué de 4°C en deux semaines), et les vents ont retouvé pratiquement leurs valeurs saisonnières après plus d'un an de conditions inhabituelles.

Début décembre 1998, l'épisode froid (La Niña) s'est renforcé. La langue d'eau froide qui part de la cote sud américaine vers le Pacifique Central est maintenant fortement établie. Les écarts de températures de surface sont d'environ 1°C (plus froid) le long de l'équateur près de la ligne de changement de date, mais atteignent 2°C (plus froid) plus à l'Est, vers 110°-130°W. Les alizés se sont renforcés au large de la côte américaine et soufflent plus fort qu'en moyenne jusqu'à 160°E. L'épisode froid actuel (La Niña), reste cependant d'une ampleur modérée malgré l'intensité du El Niño qui l'a précédé. Inversement, le dernier la Niña majeur (1988-89) a suivi un el Niño d'ampleur moyenne (1986-87).

Bilan de l'épisode 1997-98

Une étude a répertorié et chiffré, à l'échelle de la planète, les diférents impacts de l'El Niño 97-98, qui a été le plus intense jamais enregistré, le mieux prévu et le mieux suivi par les scientifiques. Ces estimations provisoires sont des ordres de grandeur, car leur estimation précise et définitive est très difficile.

Coût direct aux équipements : 34 milliards de dollars
Mortalité : 22 000 
Personnes atteintes de maladies : 540 000
Personnes déplacées ou sans-abri : 4,8 millions
Surfaces touchées par le feu, les indondations, la sécheresse : 22 millions d'hectares

Les pays les plus touchés dans leurs infrastructures sont les USA, l'Indonésie et le Brésil, mais les pertes humaines les plus élevées ont été subies par le Kenya (4000 morts). De façon générale, les conséquences humaines et économiques sont inversement liées : le type d'impact prédominant dépend dans une large mesure du niveau de développement et d'organisation des pays face aux catastrophes naturelles

Les conséquences d'un évènement El Niño sont considérablement plus coûteuses que l'étude scientifique du phénomène. La prévision, fiable à une échelle de quelques mois, devient un outil de décision stratégique si elle permet de prendre les mesures préventives qui limitent les conséquences d'El Niño. 

Enseignements scientifiques d'El Niño 97-98

L'épisode El Niño 1997-98 a été le plus intense jamais enregistré, mais aussi celui dont le déclenchement a été le plus précoce et le plus soudain. Grâce aux moyens considérables mis en oeuvre, les scientifiques ont pu en suivre l'évolution, et en tirer des enseignements, notamment en matière de prévision.
Les modèles utilisés par les équipes américaines et européennes sont basés sur les observations qui sont faites sur l'océan Pacifique tropical. Les prévisions sont réactualisées chaque mois et sont d'autant moins précises qu'elles portent sur une période plus longue. A partir des résultats de plusieurs modèles partant de conditions initiales de l'océan et de l'atmosphère un peu différentes, il est possible d'évaluer quelle confiance on peut avoir dans la prédiction.
Exemple : situation moyenne en septembre-octobre-novembre 98, prévue et réelle

En février 98, la prévision à 6 mois annonçait un fort épisode La Niña, avec des anomalies froides très marquées au large de l'Amérique du Sud le long de l'équateur. La situation réelle fut quelque peu différente, avec des anomalies froides (mais aussi chaudes) moins marquées. L'épisode La Niña a été moins intense que prévu par les modèles. 
Les moyens d'observation de l'océan avaient permis de constater l'accumulation de chaleur dans le Pacifique Ouest depuis 1995, et donc l'apparition, dès fin 1996, de conditions favorables au déclenchement d'un épisode El Niño. Si l'épisode lui-même avait été bien annoncé par les différents modèles de prévision, il n'en a pas été de même des modalités de son déroulement, qu'ils n'ont pas su prévoir finement. Alors qu'ils annoncaient un épisode modéré au cours du deuxième semestre 1997, ils ont tous été pris de court par son déclenchement très précoce et sa rapide montée en puissance en milieu d'année, vers un évènement d'une ampleur exceptionnelle.
Un des points faibles des modèles actuels semble être l'insuffisante prise en compte de "l'Oscillations Madden-Julian". Cette onde atmosphérique se propage de l'Océan Indien vers l'Ouest Pacifique, où elle provoque une succession de coups de vents d'Ouest qui paraît de plus en plus jouer le rôle de déclencheur d'un épisode El Niño à partir d'une situation initiale favorable.