La sélectivité pour mieux pêcher
Les pêcheurs se sont longtemps comportés comme si les richesses de la mer étaient infinies. Cette attitude ne posait pas problème il y a cinquante ans. Mais avec la croissance continue de la mécanisation, la pêche n'a pu éviter de toucher les limites de la nature. L'idée que l'effort de pêche doit être maîtrisé a fini par s'imposer.
Cette maîtrise s'obtient d'abord par des mesures d'encadrement général, comme l'ajustement administratif des flottilles, les quotas de capture, définis annuellement par espèce et par zone, et la dimension des mailles des chaluts. Le système est loin d'être parfait et rend nécessaires d'autres ajustements.
Quand une espèce vit en bancs homogènes, la gestion de la ressource est simple : il suffit d'adapter son effort aux réalités biologiques. Mais, dans la plupart des cas, les chalutiers travaillent sur des fonds où les espèces sont mélangées. Il est alors très difficile de faire preuve de sélectivité. Le filet peut jouer pleinement son rôle pour une espèce et en mettre une autre en péril en capturant trop de petits poissons.
Les scientifiques mobilisés
Les organisations de pêcheurs, conscientes de ces inconvénients et menacées de réglementations draconiennes émanant de l'Union européenne, ont demandé aux scientifiques de trouver des solutions techniques à plusieurs problèmes particuliers. L’Ifremer (l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer) a ainsi développé plusieurs programmes, comme nous l'explique François Théret, Responsable de la station IFREMER de Lorient.
Langoustine
Merlu
Le premier programme, en 1986, mené à la demande de l'organisation de producteurs Proma, a permis de mettre au point le chalut à nappe séparatrice horizontale, adapté aux pêcheries mixtes de langoustines et de merlus. Dans le chalut normal, les premières abîment la robe des deuxièmes, puis, à bord, le tri est pénible. Avec les nappes, la totalité des langoustines entre dans la poche du bas et les trois quarts des merlus dans celle du haut. En utilisant un maillage spécifique à chaque poche, il serait possible d'augmenter la sélectivité sur le merlu.
Lotte
L'organisation de producteurs du Guilvinec se préoccupait de la trop forte proportion de jeunes dans les prises de lottes. L’Ifremer a mis au point une grille qui s'installe dans le chalut et permet aux petits poissons de s'échapper. Elle mesure 120 cm sur 80 cm, divisée en rectangles verticaux de 11 cm sur 5 cm : sa sélectivité a été établie sur des espèces comme la lotte, les poissons plats et les raies. 60 % des juvéniles des espèces d'intérêt commercial peuvent s'échapper.
Crevette
Sole
A la fin de l’année 1997 cette fois, à la demande du comité local des pêches de Quiberon, l’IFREMER a testé un chalut sélectif à crevettes. En effet, en baie de Vilaine, les pêcheurs de crevettes ramènent aussi des petites soles, une espèce essentielle à la survie de plusieurs flottilles de cette région. Le chalut testé est précédé d'une chaîne qui racle le fond et décolle tous les animaux. Un dispositif maintient l'entrée du chalut à 10 cm du fond. Les petites soles réussissent à passer dessous tandis que les crevettes, aux réflexes plus lents, ne peuvent s'échapper.
Les premières expériences sont encourageantes, puisque la prise de solettes est réduite de 30% et celle de crevettes augmente de 20%.
Un changement de culture
La Grande-Bretagne utilise la fenêtre à maille carrée rigide, placée sur le dessus du chalut. La France a testé ce système, qui donne de bons résultats seulement sur deux espèces. "Elle permet de diviser par deux la prise de juvéniles de merlan et d'églefin".
La recherche de sélectivité va s'amplifier, comme le montre l'exemple de Boulogne-sur-Mer, où les armements sont demandeurs d'un engin qui épargnerait le petit cabillaud sans provoquer de pertes sur le merlan.
Ces évolutions témoignent d'un changement de culture d'une décennie à l'autre. Dans les années 80, la pêche française et les scientifiques raisonnaient encore en termes quantitatifs. La surexploitation et la crise commerciale de ces dernières années ont stimulé des comportements qualitatifs : il ne s'agit pas nécessairement de réduire l'exploitation, mais de mieux pêcher, sans sortir d'un cadre économique réaliste. L'intérêt de tous aujourd'hui serait de généraliser cet esprit à l'ensemble des flottes communautaires.
Le bassin d'essais d'engins de pêche de l'Ifremer, à Lorient, l'un des deux existant en France. Il sert principalement à la mise au point d'engins de pêche sélectifs.