Séquencez maintenant !

N° 261 - Publié le 20 novembre 2014
©CNRS Photothèque-Jérôme Chatin

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50 ans après la découverte de l’ADN, son séquençage est réalisé en routine dans les laboratoires, y compris bretons !

Certaines découvertes font date. 1953 : celle de l’ADN. « La compréhension de sa structure ne date que de 1962 », rappelle Francis Galibert, chercheur en génétique(1) à Rennes. Et puis les progrès technologiques se sont accélérés. Fin 2008, une fédération de recherche rennaise, le Caren(2), acquiert un appareil de séquençage ultrapuissant, qui sera utilisé par plusieurs laboratoires bretons.

« Bien malin qui aurait pu deviner que nous en serions là aujourd’hui », poursuit le chercheur. La génomique est de toutes les sciences du vivant, même si le terme est récent. Le Journal officiel du 23 novembre 2006 la définit comme “une branche de la génétique qui étudie les génomes”. Il distingue la génomique fonctionnelle (celle qui s’intéresse à la fonction des gènes, leur régulation et les interactions de leurs produits d’expression, ARN et protéines) et la génomique structurale (relative à la structure physique et à l’organisation spatiale du génome et des protéines). Les laboratoires ont commencé à faire de la génomique bien avant qu’elle ne s’appelle ainsi. « On parlait de biologie moléculaire. » Les scientifiques cherchaient à identifier la fonction des gènes (en faisant des cartes génétiques), étudiaient la transformation de l’ADN en ARN (aujourd’hui appelée transcriptomique), puis de l’ARN en protéines (la protéomique). 

Les Français ont traîné les pieds

Le séquençage des génomes, c’est-à-dire son découpage en unités de base, est venu bien plus tard. « En France, certains biologistes moléculaires de renom ont traîné les pieds », se souvient Francis Galibert. Ils voulaient laisser les Américains s’occuper de ces questions-là, car il fallait des outils d’analyses automatisés extrêmement puissants, donc très chers, couplés à des traitements informatiques tout aussi puissants. La France a tout de même pris sa part dans le projet international de séquençage du génome humain, avec la création du Génoscope d’Évry, en janvier 1997.

L’après-génome humain

« À partir d’avril 2003, quand les séquenceurs du Génoscope ont terminé leur travail sur le génome humain, ils sont devenus disponibles pour d’autres espèces », précise Erwan Corre, responsable scientifique de la plate-forme de séquençage de Ouest-genopole(3), à Roscoff. Les projets se sont alors multipliés : d’abord pour séquencer l’ensemble des gènes d’espèces modèles en médecine (souris, rat, xénope, bactérie Escherichia coli), puis celles d’intérêt économique (blé, maïs, tomate, riz, cochon...), enfin celles d’intérêt écologique (plancton, microorganismes, chauve-souris...). Aujourd’hui les technologies du séquençage sont en plein boom. Elles sont de plus en plus puissantes. Tous les six mois les constructeurs annoncent de nouvelles performances à moindres coûts. Pour Erwan Corre, cela tient à la concurrence entre fabricants. « Il y a quelques années, il n’y avait qu’un seul fournisseur, aujourd’hui on peut s’adresser à cinq ou six sociétés différentes. » Au final, le séquençage, y compris celui de masse, est de plus en plus accessible.

400 000 séquences en 5 heures

L’appareil arrivé au Caren en est une bonne illustration. Il fonctionne selon la technique du pyroséquençage, qui ne nécessite pas d’amplification préalable de l’ADN, d’où sa rapidité. De plus, les produits nécessaires à la réaction (les quatre unités de base de l’ADN) sont ajoutés les uns après les autres dans le milieu, alors qu’ils le sont tous en même temps dans un séquenceur capillaire. La réponse est plus rapide : dès que la réaction se produit, il y a émission d’un signal lumineux. Celui-ci est transformé en pic sur un diagramme, un pic d’autant plus haut que le signal est fort. On peut ainsi trouver la séquence en fonction de la taille des pics obtenus. Et le pyroséquenceur est capable de produire environ 400000 séquences de 400 à 500 bases en 5 heures, contre 150 000 séquences par an avec les séquenceurs capillaires !
Ces performances ne font pas des séquenceurs capillaires des outils démodés. « Quand les équipes auront terminé le séquençage général, qu’elles auront identifié les gènes qui les intéressent, grâce au pyroséquenceur, elles auront besoin de les cloner et de revenir travailler sur les séquenceurs capillaires, assure Erwan Corre. Ils n’ont pas la même vocation, mais sont vraiment des outils complémentaires. »

Un saut technologique

Le pyroséquenceur fait partie du dispositif de Ouest-genopole, c’est officiel depuis octobre. Avec celles de Nantes, Roscoff et du Rheu, il formera la quatrième plate-forme technique à disposition des chercheurs de l’Ouest. Pour Philippe Vandenkoornhuyse, de l’UMR Ecobio, au Caren, qui en est le responsable scientifique, c’est un saut technologique. « La puissance de ce nouvel outil offre des opportunités pour travailler différemment, gagner du temps et découvrir de nouveaux génomes chez les microorganismes ».

Quand la société s’approprie son génome

Le point de vue de Jean Weissenbach, directeur du Génoscope, à Évry, et médaille d’or 2008 du CNRS.
Le savoir sur le génome peut-il bouleverser l’évolution humaine ?
Dans l’état actuel des connaissances je ne pense pas. Personne ne sait ce que devrait être le génome d’un bébé “parfait”. Il est plus vraisemblable qu’il n’existe pas. Il y a sans doute des génomes plus ou moins adaptés pour affronter des environnements définis. Mais nous nous déplaçons, nous côtoyons des gens et des choses parfaitement imprédictibles, alors...
Aujourd’hui, on peut faire séquencer son génome pour 1000$, ou l’exposer sous forme de tableau dans son salon. Qu’en pensez-vous ?
Comme objet de contemplation, je pense qu’il y a mieux. Mais libre à chacun de faire ce qu’il veut. Comme outil de diagnostic prénuptial ou préimplantatoire, cela peut être utile dans le cas de maladies génétiques.
Mais seuls quelques gènes permettent aujourd’hui de prédire une probabilité de développer une maladie.
On ne sait presque rien dire de plus. Et puis 1 000 $ pour un risque de 1/2000 pour la mucoviscidose, la maladie la plus fréquente, ça reste cher !

Christelle Garreau

(1)Dans l’UMR 6061 : génétique et développement, CNRS/Université de Rennes1.
(2)Le Caren (Centre armoricain de recherche en environnement) est une fédération de recherche : CNRS, Inra, Universités de Rennes1 et Rennes 2.
(3)Labellisé en 2002, le réseau interrégional (Bretagne et Pays de la Loire) Ouest-genopole a été créé pour mutualiser les savoir-faire en génomique et protéomique dans les domaines de la mer, de l’agronomie et la santé. www.ouest-genopole.org

Francis Galibert
Tél. 02 23 23 47 82
francis.galibert [at] univ-rennes1.fr (francis[dot]galibert[at]univ-rennes1[dot]fr)

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