Des espèces apparaissent...

N° 267 - Publié le 19 août 2014
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Un mâle plutôt rouge ou plutôt bleu ? Dans les eaux du lac africain Victoria, le choix des femelles poissons peut aboutir en 50générations, à l’apparition de nouvelles espèces.

Comment naissent les espèces ? On sait aujourd’hui qu’elles peuvent apparaître très vite... et l’histoire n’est pas finie !

C’est un lac deux fois plus grand que la Bretagne, situé entre la Tanzanie et le Kenya. Depuis les années 70, il contenait une énigme. Comment est-il possible que le lac Victoria, rempli il y a seulement 12 500 ans, contienne plus de 500 espèces différentes de poissons, inconnus ailleurs ? Son voisin, le lac Tanganyika, vieux de 5 millions d’années, n’en contient, lui, que 200. L’écologiste évolutif néerlandais Jacques van Alphen(1), aujourd’hui au laboratoire Écobio, a bouclé une enquête de 12 ans. « La question était ancienne. C’était un challenge de trouver une solution à un problème que les autres n’avaient pas résolu. » Au colloque, il a expliqué le processus de la “spéciation”, la naissance des espèces.

Des poissons rouges, d’autres bleus

Les poissons du lac Victoria sont des cichlidés, qui mesurent jusqu’à 15 cm de long. Les mâles de certaines espèces sont rouges, les autres bleus. Les femelles brunes se ressemblent. Chaque mâle défend un territoire, visité par les femelles, qui choisissent leur mâle (sélection sexuelle). « Mon idée était que les femelles, dont le père et le grand-père sont bleus, préfèrent les mâles bleus. Nous l’avons montré en les étudiant dans le lac et au labo. » Les femelles préfèrent aussi les mâles les plus rouges (parmi les rouges) ou les plus bleus (chez les bleus) – ces plus colorés ont justement moins de parasites.

Mais pourquoi les bleus vivent-ils entre 0 et 3 m et les rouges jusqu’à –6 m ? Dans le lac, une algue verte filtre la lumière : en profondeur, seule la couleur rouge passe. Les biologistes ont montré, grâce à un optomètre, que les espèces avaient... des yeux différents : elles ne voient pas la même chose ! Par sélection naturelle, les poissons vivant plus profond distinguent mieux les objets rouges – c’est vital pour trouver de la nourriture et repérer le mâle rouge.

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Après 50 générations

« Nous savons, grâce aux modèles mathématiques, que lorsqu’il y a une sélection sexuelle, ainsi qu’une sélection naturelle dans un environnement hétérogène, une espèce peut se séparer en deux groupes. » Après 50 générations, chez une espèce de cichlidés vivant à 3 m de profondeur, la préférence des femelles évolue tellement qu’il y a deux espèces... l’une aux mâles plutôt bleus, l’autre aux mâles rouges. Ces espèces stables n’ont pas le même comportement, elles ne vivent pas au même endroit, mais restent encore compatibles génétiquement. Sauf qu’aujourd’hui...« Près d’une grande ville, l’eau du lac est sale et polluée. Les femelles ne peuvent plus sélectionner les mâles : les espèces s’hybrident. » Et voici des espèces qui disparaissent !

« D’une manière générale, ce n’est pas toujours facile de délimiter une espèce, conclut Jacques van Alphen (lire aussi p.18). Cette mésange espagnole ressemble, par exemple, à celle du Japon ! Le processus de spéciation montre que l’on ne peut pas toujours distinguer les frontières : la nature est un continuum. »

« Les espèces vont revenir »

Lorsque des niches écologiques sont vides, comme dans le récent lac Victoria, des espèces animales peuvent apparaître rapidement. « Nous vivons une période où beaucoup d’espèces disparaissent sur Terre, ou ont disparu. Mais, même si cela prend du temps, je suis sûr que les espèces vont revenir – ce ne seront pas les mêmes qu’avant. Si les hommes créent une catastrophe, les niches seront vides. Il y aura beaucoup d’opportunités pour une nouvelle vague de spéciation rapide. » L’apparition des espèces n’est pas qu’une histoire ancienne !

Nicolas Guillas

(1) Lauréat d’une chaire d’excellence européenne Marie Curie, Jacques van Alphen poursuit à Rennes le projet Comparevol (http://comparevol. univ-rennes1.fr).

Jacques van Alphen
j.j.m.van.alphen [at] biology.leidenuniv.nl (j[dot]j[dot]m[dot]van[dot]alphen[at]biology[dot]leidenuniv[dot]nl)

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