L’attaque des clones a échoué

N° 267 - Publié le 19 août 2014
© Sylvain Lefebvre
La tortue de Rydley pond une centaine d’œufs... dont un seul survivra, en moyenne ! La reproduction sexuée est, pourtant, le moyen le plus efficace pour perpétuer une espèce.

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La reproduction sexuée n’est pas rentable... mais elle se retrouve presque partout dans le vivant. Un paradoxe évolutif.

«Dans la sélection naturelle, on ne sait pas tout, souligne Jean-Sébastien Pierre (laboratoire Écobio, Rennes1). La sexualité existait dès l’origine de la vie... mais le fait qu’elle existe encore est un vrai mystère ! » Dans la lutte pour la survie, l’absence de reproduction sexuée est un avantage. Les espèces asexuées se reproduisent deux fois plus vite que les autres, où seules les femelles (50 % de la population) donnent naissance à des petits. Si un individu asexué apparaît dans une population, il peut l’envahir par clonage ! Alors, pourquoi tous les organismes vivants sur la planète ne sont-ils pas devenus des clones asexués ?

Des bactéries aux lézards

Au contraire, il existe seulement une espèce asexuée sur un millier. Elles sont partout, des bactéries aux vertébrés, mais pas chez les mammifères. On trouve des plantes asexuées, dont un yucca, des insectes, notamment des pucerons, des champignons, de petits poissons tropicaux, des lézards... Mais toutes ces espèces sont récentes, sauf quelques-unes, âgées de centaines de millions d’années. « Les espèces devenues asexuées ont toujours tendance à disparaître, poursuit Jean-Sébastien Pierre. Sur l’arbre du vivant, les organismes asexués sont en bout de branche : leur histoire évolutive est courte, complète Jean-Christophe Simon (BiO3P, Inra Rennes), qui intervenait sur ce thème, au colloque. Les pucerons, par exemple, ont 300 millions d’années, mais leurs lignées asexuées sont apparues il y a moins de 100 000ans. » Quelle malédiction pèse donc sur les clones ?

« L’un des avantages de la reproduction sexuée, à long terme, est de mettre ensemble des gènes favorables, explique Jean-Christophe Simon. Par contre, dans une population asexuée, les mutations délétères s’accumulent, sans combinaison génétique pour les “purger”. » Autre atout de la sexualité : le choix du partenaire en fonction de différents critères. « Depuis Darwin, nous savons que la sélection sexuelle, chez une espèce, est un avantage dans une situation de compétition avec les autres espèces, grâce à la phase de reconnaissance du partenaire sexuel. »

Nous pourrions aussi être envahis par des clones, très vite, si la sexualité n’était pas avantageuse... tout de suite ! « Cinq ou six théories s’affrontent ou se complètent pour expliquer que la sexualité est un avantage à court terme », note Jean-Sébastien Pierre. Dans certains cas, l’avantage est clair : certains pucerons sexués pondent des œufs qui résisteront mieux aux hivers qu’un petit clone qui n’est pas protégé du froid (voir Sciences Ouest n°236). La diversité génétique des asexués étant aussi plus faible, leur capacité d’adaptation aux changements est aussi moins forte.

Reproduction sexuée “sous le manteau”

Les chercheurs n’ont pas fini de découvrir l’évolution des systèmes de reproduction. Des travaux en cours étudient « certaines espèces, que l’on croit asexuées, mais qui auraient une reproduction sexuée “sous le manteau”, ou bien chez qui l’on trouve d’autres mécanismes, pour purger les gènes délétères ou générer de la nouveauté génétique », conclut Jean-Christophe Simon.

Fécondation : une algue superévoluée

D’un côté des clones ultrarapides, de l’autre une sexualité qui lambine ? C’est plus compliqué dans la vraie vie, où la diversité des modes de reproduction est extraordinaire. Valérie Stiger-Pouvreau, enseignant-chercheur à l’IUEM, à Brest, étudie par exemple l’évolution des modes de reproduction chez les algues. Elle va bientôt publier ce qu’elle a découvert chez une macroalgue brune Fucale (Turbinaria ornata), que l’on trouve en Polynésie française, à moins de 10m de profondeur.

« Cette algue a un mode de reproduction original, qui existe chez des plantes terrestres, comme chez le thym, mais qui n’avait pas été décrit chez une algue, explique-t-elle. La population est constituée de femelles, qui sont dominantes, de mâles qui sont rares (moins d’un individu sur 100) et d’hermaphrodites. Cela garantit une reproduction efficace. D’autant plus que, chez cette espèce, les gamètes (cellules sexuelles) ne sont pas larguées au hasard. La fécondation a lieu sur un pied femelle ou hermaphrodite et, comme toutes les gamètes mâles sont à proximité, il y a 100 % de fécondation ! » Avec ce type d’évolution dans le mode de reproduction (gynodioécie), les clones n’ont finalement aucune chance.

Valérie Stiger-Pouvreau, Tél. 02 98 49 88 06
stiger@univ-brest.fr
Nicolas Guillas

Jean-Sébastien Pierre, Tél. 02 23 23 64 00
jean-sebastien.pierre [at] univ-rennes1.fr (jean-sebastien[dot]pierre[at]univ-rennes1[dot]fr)

Jean-Christophe Simon, Tél. 02 23 48 51 54
jean-christophe.simon [at] rennes.inra.fr (jean-christophe[dot]simon[at]rennes[dot]inra[dot]fr)

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