Le retour de l'herbe au menu des vaches

N° 297 - Publié le 6 avril 2012
© Luc Delaby
Aujourd'hui, les zones de pâturages ne sont pas toujours facilement accessibles depuis la ferme. Alors pour l'expérience, certains exploitants doivent faucher l'herbe pour nourrir leurs vaches.

À l’Inra, les chercheurs testent avec les agriculteurs des solutions pour lutter contre les fuites de nitrates.

Faire brouter les vaches, c’est un peu comme inventer l’eau tiède : évident, me direz-vous. Sauf qu’avec l’intensification des élevages, suscitée par les politiques productivistes d’après-guerre, elles ne broutent plus tant d’herbe que ça, les vaches ! Et pourtant, cet or vert a de multiples talents, notamment celui de retenir l’azote, afin d’éviter qu’il ne parte trop vite dans les rivières sous forme de nitrates. Et de le recycler... en étant brouté par les vaches ! C’est pour cette raison que des chercheurs de l’Inra(1) ont misé sur l’herbe pour tenter, avec les agriculteurs de La Lieue-de-Grève, en baie de Lannion, d’enrayer l’invasion estivale des algues vertes.

Plus d’herbe à pâturer

Dans le cadre du projet de recherche Acassya (lire encadré ci-dessous), dix fermes pilotes tentent l’expérience. « Il y a neuf exploitations bovines et un élevage de porcs, précise Luc Delaby, partenaire de l’expérimentation à l’Inra de Saint-Gilles (35). Notre objectif est de les accompagner vers un système incluant plus d’herbe, en prenant en compte leurs contraintes. » Par exemple, ce changement augmente la surface occupée par chaque vache, pour qu’elles aient assez à brouter. Mais pour cela, il faut que ces surfaces soient accessibles. Or pour l’instant, de nombreuses exploitations ont des parcelles morcelées. « Certains agriculteurs, particulièrement impliqués dans le projet, vont jusqu’à faucher chaque jour l’herbe des parcelles les plus éloignées pour nourrir le troupeau resté aux alentours de la ferme ! Ce n’est pas applicable à grande échelle, cela demande trop de travail », reconnaît Luc Delaby, pour qui il faut donc travailler à un réaménagement parcellaire. « Attention, ce n’est pas du remembrement !, précise-t-il, mais, par exemple, de l’échange de droit d’usage entre deux agriculteurs. Sur certaines exploitations, aménager 500m de chemin entre deux parcelles permettrait de doubler la surface de pâturages ! »

Trouver l’équilibre

L’expérience table aussi sur la généralisation des couverts hivernaux : du colza, du ray-grass, ou encore de l’herbe. « Ces plantes vont consommer l’azote des lisiers épandus pour leur croissance et donc éviter les fuites lorsque les sols sont lavés par les pluies, en hiver. » Cela nécessite de diminuer les hectares de maïs, très intéressants en termes de rendement mais qui valorisent mal l’azote et dont la récolte trop tardive rend peu efficaces les couverts hivernaux. Pour le remplacer par de la luzerne, par exemple, « qui apporte aussi des protéines, et permet de faucher la parcelle plus régulièrement, donc d’éliminer plus d’azote au sein de l’exploitation. » Mais là encore, cela demande plus de travail, pour garder la même productivité. L’équilibre est difficile à trouver. Dans le même sillon, les agriculteurs peuvent éviter de recourir à des parcelles parkings, des champs où les vaches ne broutent pas l’herbe directement mais mangent de la nourriture venue d’ailleurs, comme des tourteaux de soja, importés d’Amérique du Sud. Ces apports extérieurs viennent perturber le cycle naturel en ajoutant de l’azote non produit sur place, et donc dépassant les capacités de recyclage du territoire !

Les Holstein trop difficiles !

L’adaptation passe aussi par des changements plus conséquents. La plupart des élevages laitiers utilisent des vaches Holstein, à haut rendement laitier, mais aux exigences alimentaires élevées, difficiles à satisfaire avec l’herbe seule. « Sur nos fermes pilotes, certains éleveurs ont choisi de travailler avec d’autres races, plus faciles. Elles sont de moindre potentiel pour le lait, mais elles sont aussi valorisables pour leur viande. » Dans toutes les fermes pilotes, des études économiques sont en cours, coordonnées par la chambre d’agriculture, pour évaluer les conséquences de ces mesures. « Globalement les bilans sont similaires, voire un peu meilleurs que ceux des exploitations classiques. Mais il faut être prudent, car les prix du lait et des intrants fluctuent. » Des mesures de suivi de l’azote et de performance de la production ont également commencé.


© Luc Delaby - La luzerne est une bonne alternative au maïs. Elle est riche en protéïnes et doit être fauchée plus souvent, donc permet de recycler plus d'azote au sein de l'exploitation.

Mettre l’herbe à la banque

Et les cochons dans tout ça ? « Bien sûr ils ne mangent pas d’herbe. Par contre, la majorité des éleveurs possèdent, à côté, des parcelles de terre sur lesquelles ils produisent des céréales à paille, du maïs ou du colza, qu’ils revendent ensuite. » L’idée, c’est de leur faire produire de l’herbe plutôt que du maïs, afin qu’ils puissent créer des réserves et éviter la pénurie fourragère en cas de sécheresse. « À terme, il s’agirait de créer un marché de l’herbe : que les producteurs de porcs revendent leur production, séchée sous forme de foin, à une structure de stockage, qui pourra la revendre aux éleveurs bovins. Pour éviter d’en faire venir de l’autre bout de la France, comme l’été dernier ! » Et la fauche régulière de l’herbe, nourrie avec le lisier de leur élevage, permettrait de contrôler leurs flux de nitrates !

Des porcs herbivores ?

Par la force du calendrier, les expériences d’Acassya se sont entremêlées avec le Plan algues vertes du bassin versant de la baie de Lannion, qui compte 170 exploitations en tout. « Nous faisons aussi des actions de sensibilisation auprès de tous ces agriculteurs, sur la restructuration foncière notamment, pour favoriser le pâturage. » Mais ce modèle n’est pas la solution miracle pour la Bretagne, car il est très dépendant du territoire, de la répartition entre élevages laitiers et porcins. « Vers Saint-Brieuc, par exemple, où les élevages de porcs sont majoritaires, il faudra trouver autre chose. » Mettre les cochons au régime herbe ?

Un projet à l’échelle paysage

Comment mieux connaître et maîtriser le cycle de l’azote dans les paysages ? C’est le casse-tête auquel s’est attaqué en 2009, pour trois ans, le projet Acassya(2), coordonné par des chercheurs de l’Inra de Rennes. « L’objectif final est d’accompagner les agriculteurs du bassin versant de La Lieue-de-Grève vers les changements nécessaires pour atteindre les 10-15mg/L préconisés par les spécialistes d’Ifremer », précise Chantal Gascuel, responsable du projet. Il porte sur trois volets, le dernier étant le test “grandeur nature” d’un changement de système de production détaillé ci-dessus. Le premier consiste à réaliser une étude très précise du milieu : du temps de transfert de l’azote dans les bassins versants au rôle des haies, qui absorbent le nitrate et le rejettent, transformé, lorsque leurs feuilles tombent. Les chercheurs ont pu pour cela s’appuyer sur des résultats obtenus sur deux petits bassins versants du réseau d’observation Agrhys, très instrumentés et suivis depuis dix ans.

Le second volet concerne la conception de nouveaux modèles. Les premiers ont été mis au point à l’échelle de la parcelle. Or, il était impossible d’y tester des changements de grande ampleur, comme ceux envisagés dans la problématique des algues vertes. « Nous les avons complexifiés en les élargissant au fonctionnement d’un bassin versant, explique Patrick Durand, agrohydrologue dans la même unité. Il a fallu y inclure la stratégie de l’agriculteur. » Les chercheurs peuvent désormais tester des scénarios complexes de changements de système de production. « Nous avons déjà implémenté le projet de retour à l’herbe testé sur La Lieue-de-Grève, en extrapolant ce qui est fait sur les fermes pilotes. Sur vingt ans, nous n’arrivons pas à l’objectif prévu mais de tous les scénarios, c’est le seul à maintenir la production agricole tout en diminuant de 30% les fuites d’azote ! » D’autres simulations, comme la gestion des zones humides ou l’amélioration foncière vont pouvoir démarrer. Une approche similaire devrait se mettre en place à Évian. « En Bretagne, le problème est indissociable des algues vertes. Mais ailleurs il se retrouve avec d’autres enjeux. »

Chantal Gascuel Tél. 02 23 48 52 27
chantal.gascuel@rennes.inra.fr

Patrick Durand Tél. 02 23 48 54 27
patrick.durand@rennes.inra.fr
Céline Duguey

(1)Inra : Institut national de la recherche agronomique.

(2)Le projet Acassya réunit l’Inra, les laboratoires Costel et Géosciences de l’Université de Rennes 1, l’Irisa et l’Unité Bioméco de l’Université Pierre-et-Marie-Curie.

Luc Delaby Tél 02 23 48 50 98
luc.delaby [at] rennes.inra.fr (luc[dot]delaby[at]rennes[dot]inra[dot]fr)

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