Le changement vu des champs

N° 298 - Publié le 11 mai 2012
© SCOOT OLSON - GETTY IMAGES - AFP
Au Texas, en juillet 2011, la sécheresse la plus importante depuis 1895 a obligé les agriculteurs à abandonner certains de leurs champs.

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Sociologues et agronomes se sont associés aux agriculteurs pour cerner leur perception du changement climatique.

« Et vous, vous le sentez le changement climatique ? » C’est un peu la question posée aux agriculteurs par les scientifiques du projet Climaster, un programme de grande envergure sur le changement climatique dans le grand Ouest, lancé dans le cadre du programme Pour et sur le développement régional, dont la synthèse devrait sortir à l’horizon 2013.

Parmi les systèmes considérés - eau, sol, mer (lire encadré ci-dessous) -, les scientifiques sont allés dans les champs rencontrer certains des acteurs parmi les premiers concernés.

Dates à l’appui

Avec des agronomes de l’Inra, la sociologue Véronique Van Tilbeurgh, de l’Université Rennes 2, a mené l’enquête auprès de 34 exploitations laitières, dans l’Orne, le Maine-et-Loire et les Côtes-d’Armor, pour cerner la perception des agriculteurs et savoir s’ils se sentent déjà touchés par le phénomène. « Les exploitants perçoivent une évolution du climat sur les vingt dernières années. Certains ont des carnets avec les dates de semis ou de récoltes qui avancent, d’autres ont même des courbes de températures, permettant d’objectiver leurs impressions ! » Ces observations de terrain rejoignent les constats des climatologues : des pluies plus irrégulières et souvent plus intenses, des épisodes de froid intense mais court, et des périodes de sécheresse plus longues.

Une évolution mais pas de changement

Pour ne pas biaiser les résultats, le terme de changement climatique n’a été prononcé qu’à la fin des entretiens. « Le sujet est largement véhiculé par les médias, et beaucoup d’agriculteurs se sentent mis en accusation dès qu’on aborde les questions environnementales. Nous risquions d’avoir des avis normés plus que des constats et des positions particulières. » D’eux-mêmes, les agriculteurs l’ont d’ailleurs peu évoqué. « L’évolution du climat était plus souvent associée à l’idée de phénomènes cycliques. Et même lorsque certains évoquaient le changement climatique, ils n’en faisaient pas forcément la cause des changements à l’échelle de leurs parcelles. » De même, les changements de pratique étaient presque toujours justifiés par la volonté d’une meilleure rentabilité, ou d’une meilleure organisation du travail. Seuls les plus diplômés des agriculteurs ont fait référence au changement climatique et à son explication anthropique.

Viser l’autonomie

Surtout, les exploitants sont confiants en leur capacité d’adaptation. Partenaires du projet, des structures d’accompagnement des agriculteurs, comme le réseau Trame, les centres d’études techniques agricoles d’Ille-et-Vilaine et le Cedapa(1), ont réuni en petit groupe de travail une cinquantaine d’agriculteurs de l’Ouest, pendant l’été 2011.

« Nous leur avons présenté une synthèse des connaissances actuelles, explique Philippe Desnos, ingénieur référent Trame, en intégrant les autres travaux réalisés dans le cadre de Climaster, sur le sol et la sécheresse notamment (lire ci-dessous). À eux d’imaginer les évolutions possibles ! » Sans rejets, car le changement climatique était ici présenté comme un contexte à partir duquel les agriculteurs devaient agir. Les pistes envisagées relevaient d’une adaptation automne, comme une modification des dates de semis, le mélange d’espèces - le sarrasin ou le trèfle ont déjà été réintégrés par certains - ou encore la réduction des intrants pour renforcer son indépendance économique. « Pour les agriculteurs, les systèmes les plus autonomes seront les plus résistants. » La crainte de la perte totale des récoltes a également vu l’apparition d’assurances sur le risque climatique. Certains voient même dans le changement climatique une opportunité, qui va favoriser la diversification des exploitations, en améliorant l’attractivité touristique ou le développement de l’énergie photovoltaïque.

La transhumance en Bretagne ?

Grâce à la télédétection, d’autres chercheurs impliqués dans Climaster ont pu vérifier que l’occupation des sols n’avait pas encore évolué vers une occupation plus systématique des fonds de vallées, plus humides. Mais l’option n’est pas rejetée par les agriculteurs. « Certains ont même évoqué l’idée de transhumance en Bretagne ! » Car ils en sont conscients, l’eau sera une denrée plus rare. « L’évolution de l’agriculture va devoir être négociée avec la société. La question de l’irrigation pose déjà problème en Charente-Maritime. » Les éventuels changements d’espèces vont également avoir des conséquences sur notre alimentation. « Il va falloir décider de ce qui est acceptable pour le maintien de l’agriculture dans un territoire. » C’est l’une des questions posées par les agriculteurs à la recherche : comment faire évoluer les réglementations pour prendre en compte les contraintes du changement climatique ? Il y a aussi le besoin de prévision météorologique à un mois, mais ça, c’est un autre problème !

Ces poissons qui remontent, qui remontent !

La biodiversité des poissons augmente dans les eaux qui bordent la Bretagne. Déjà présents sur nos étals, rougets barbets, encornets et Saint-Pierre sont en passe de détrôner les emblématiques morues et harengs. La raison ? La migration vers le Nord d’espèces qui adaptent leur répartition à l’augmentation de la température de l’eau. C’est la conséquence la plus flagrante du changement climatique dans les eaux bretonnes. Ainsi, sur les vingt espèces de poissons plats présents dans le golfe de Gascogne, douze ont évolué au cours des dernières décennies : six espèces d’eau froide ont disparu de la zone ou fortement régressé pour aller plus vers le Nord, alors que six espèces d’affinité Sud se sont développées.

« Le changement climatique a deux autres effets sur les océans à l’échelle globale, précise Olivier Le Pape, enseignant-chercheur dans le laboratoire d’écologie halieutique d’Agrocampus Rennes(2) et co-rédacteur(3) de la partie mer du projet Climaster. Le réchauffement de la couche supérieure de l’eau atténue les échanges avec les couches inférieures, ce qui diminue la production primaire de phytoplancton. On observe par ailleurs une acidification des océans du fait de la saturation de l’absorption de CO2. » Les effets de ces changements à l’échelle régionale sont toutefois très incertains.

Reste que, même si elle augmente en Bretagne, la biodiversité diminue à l’échelle globale. Car 90% des espèces mondiales de poissons se trouvent en zone tropicale, dans les massifs coralliens.

Nathalie Blanc
Olivier Le Pape Tél. 02 23 48 55 31
Olivier.Le_Pape@agrocampus-ouest.fr
Céline Duguey

(1)Cedapa : Centre d’étude pour un développement agricole plus autonome.

(2)UMR écologie et santé des écosystèmes Inra/Agrocampus.

(3)Avec Gaëlle Roussel, du Conseil de l’environnement de Bretagne, Frédérique Viard, de la Station biologique de Roscoff, et Paul Tréguer, professeur émérite de l’Institut universitaire européen de la mer. Relire l’article Sale temps sur la Bretagne ? dans Sciences Ouest n° 271 - décembre 2009 sur : wwwsciences-ouest.org.

Véronique Van Tilbeurgh Tél. 02 99 14 19 84
veronique.vantilbeurgh [at] univ-rennes2.fr (veronique[dot]vantilbeurgh[at]univ-rennes2[dot]fr)

Philippe Desnos Tél. 02 23 48 27 88
p.desnos [at] trame.org (p[dot]desnos[at]trame[dot]org)

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