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Les nouveaux puits d’or vert

N° 334 - Publié le 19 octobre 2015

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Microalgues ou méthanisation, les chercheurs redoublent d’énergie pour trouver une alternative au pétrole.

Polluant, non renouvelable, au cœur de conflits politiques majeurs..., le pétrole a vu sa cote de popularité s’assombrir au cours des quarante dernières années. Il est pourtant toujours massivement utilisé car, aujourd’hui, aucun remplaçant de taille n’est proposé, notamment pour remplir nos réservoirs. La nature nous offre pourtant des alternatives. À Saint-Nazaire, des chercheurs du laboratoire Génie des procédés environnement et agroalimentaire (1) (Gepea) explorent les multiples capacités des microalgues. Vivant dans l’eau douce ou l’eau salée, ces microorganismes contiennent, pour certains d’entre eux, de grandes quantités de lipides qui, une fois transformés, peuvent devenir un biodiesel efficace. Et leur production n’entre pas en lutte avec les besoins alimentaires. Quelques souches sont même capables, sous certaines conditions, de rejeter dans leur milieu de culture des hydrocarbures. Les mêmes que ceux utilisés pour faire voler nos avions.

Des réacteurs dans une grande verrière

Mais avant de faire décoller un Airbus, il faut réussir à produire en grandes quantités. En très grandes quantités. En juin, le Gepea a inauguré une plate-forme de recherche et développement baptisée Algosolis(2). Dans une grande verrière, semblable à celles utilisées pour faire pousser des tomates, plusieurs bassins d’essais - des photobioréacteurs - sont en cours d’installation. D’autres sont établis en plein air. « Les microalgues ont besoin de lumière pour se développer. Mais on ne doit pas consommer plus d’énergie qu’on ne veut en produire, explique Jack Legrand, directeur du Gepea. Il faut utiliser la lumière naturelle, et ça ne peut pas se faire en laboratoire ! » C’est la première raison qui a motivé la création de cette plate-forme. « Nous allons pouvoir travailler avec des conditions météo réelles. » La seconde motivation est une question de taille : aujourd’hui les exploitations ne dépassent pas 1000 m2. Si on pense énergie, il faut de grandes masses, donc de grandes surfaces ! « Les conditions de culture de la plate-forme seront extrapolables : à très grande échelle, comment contrôler le pH, la température, éviter les contaminations extérieures, nettoyer les bassins... Nous allons nous pencher sur toutes ces questions ! »

Précieux lipides et pigments

Malgré son surnom d’or noir, le pétrole est un produit à faible valeur ajoutée. « Si les producteurs gagnent de l’argent, c’est parce qu’ils en produisent beaucoup. Et aussi parce qu’on sait raffiner le pétrole pour en extraire différents sous-produits ! » Il faut pouvoir faire la même chose avec les algues. Casser les cellules de façon contrôlée, pour obtenir les précieux lipides, mais aussi des pigments et d’autres molécules utilisées en cosmétologie, par exemple. Les scientifiques nazairiens vont désormais avoir suffisamment d’“or vert” pour évaluer ces procédés. Pour atteindre la rentabilité, l’algoculture doit aussi s’intensifier. « Il y a deux solutions, poursuit Jack Legrand, soit les bassins deviennent de plus en plus grands, mais il faudra alors beaucoup de place et surtout beaucoup d’eau. Soit on essaie d’augmenter la concentration d’algues par litre, c’est la voie que nous avons choisie. » Les bassins des chercheurs ont beau ressembler à de grandes piscines, ils ne contiennent qu’une dizaine de centimètres d’eau. « Il faut que l’épaisseur soit très mince pour que la lumière puisse traverser suffisamment le milieu et que les microalgues poussent plus nombreuses. »

Vers une production bio ?

Alors de l’eau et du soleil pour des algues à foison ? Pas encore. La microalgue a besoin de se nourrir. Elle apprécie beaucoup le CO2, ce qui est plutôt positif si elle le puise dans l’air, mais aussi le phosphore et l’azote, comme toutes les plantes. Le “hic”, c’est que les engrais azotés sont produits chimiquement, donc avec beaucoup d’énergie et des réactifs issus de l’industrie pétrolière ! Au laboratoire, Dominique Grizeau s’intéresse à des microorganismes photosynthétiques proches des microalgues, les cyanobactéries. « Certaines sont capables de fixer l’azote de l’air et de relarguer de l’ammonium, assimilable par les microalgues. Ce sont de mini-usines cellulaires. » Avec des jeunes chercheurs venus de l’université de Pékin et de l’université de Hô Chi Minh-Ville, ils sont parvenus à sélectionner une souche étonnante. « Elle est très résistante et conserve ses propriétés de fabrication d’ammonium sur le long terme. » Cela permet de recycler la biomasse. « Pour l’instant, nous parvenons à fonctionner en continu pendant trois mois, précise Dominique Grizeau. Et d’ici à 2016, nous espérons avoir un démonstrateur qui couple un photobioréacteur de cyanobactéries à un autre de microalgues cultivées pour les hydrocarbures. » Et dans le viseur, des solutions pour cultiver les microalgues en répondant aux critères de l’agriculture biologique.

Dans les déserts et sur les façades

Dans un futur plus ou moins proche - beaucoup de verrous technologiques restent à lever -, de nouvelles cultures viendront peut-être s’installer dans les déserts (pour l’espace) ou même en façade des bâtiments. « Des photobioréacteurs en façade pourraient jouer un rôle de régulateur thermique, explique Jack Legrand. Nous testons actuellement ce procédé(3), sur un prototype ici, et d’ici à la fin de l’année sur un bâtiment du Centre scientifique et technique du bâtiment en région parisienne. » D’autres solutions utilisant d’autres biomasses verront peut-être le jour d’ici là. En Bretagne, avec les rejets des nombreux élevages et les déchets des industries agroalimentaires, la méthanisation a le vent en poupe. C’est une autre façon de produire du biogaz pour obtenir de l’électricité, de la chaleur ou encore du carburant. Certaines solutions couplent les biomasses (bois et méthanisation, par exemple, lire p. 18) pour optimiser les résultats. Des expériences sont aussi menées sur des brocolis, des feuilles d’arbres indiens ou des coproduits d’industries : nombreuses sont les pistes empruntées par les chercheurs pour nous libérer de notre dépendance au pétrole, avant qu’il n’y en ait plus.

Une journée pour parler vertement

Le changement de nom de l’Institut français du pétrole (IFP), devenu IFP Énergies nouvelles, illustre bien la tendance actuelle qui consiste à basculer vers un nouveau modèle énergétique et économique pour remplacer cette ressource fossile. C’est ce que viendra expliquer Jean-Luc Duplan, expert en biomasse dans cet établissement, le 29 septembre prochain à Rennes (Espace des sciences - Champs Libres). Au-delà de ses vertus alimentaires prioritaires, la biomasse (agricole, forestière et maritime) constitue une source d’énergie et de nombreuses matières premières. Comment mettre en place et renforcer les bio-industries ? Quels sont les verrous économiques et scientifiques qui restent à lever ? Après un atelier sur les opportunités de projets européens en chimie et biotechnologies et des rendez-vous de mise en relation entre chercheurs, entreprises et institutionnels, sa conférence(4) clôturera la journée organisée par l’Union des industries chimiques (UIC) Ouest Atlantique et CBB Capbiotek(5). www.capbiotek.fr

Nathalie Blanc
CBB Capbiotek
Tél. 02 99 38 33 30
Céline Duguey

(1) Laboratoire Université de Nantes, Mines Nantes, Oniris, CNRS.

(2) Plate-forme de recherche et développement de l’Université de Nantes - CNRS. algosolis.com.

(3) Projet FUI SymBio2 CNRS porté par Séché Environnement avec : X-TU Architects, AlgoSource Technologies, Gepea, Viry, Oasiis.

(4) Intitulée De la matière et des calories : vers une nouvelle économie du carbone.

(5) En partenariat avec Enterprise Europe Network, Bretagne Développement Innovation et l’Espace des sciences.

Jack Legrand
Tél. 02 40 17 26 33
jack.legrand@univ-nantes.fr

Dominique Grizeau
Tél. 02 40 17 26 80
Dominique.grizeau@univ-nantes.fr

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