La chaleur qui tue les cellules

N° 347 - Publié le 8 décembre 2016
Nicolas Guillas
Franck Camerel conçoit des molécules pour une thérapie nouvelle : brûler la tumeur avec un laser inoffensif.

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Des chimistes et des biologistes explorent une voie pour tuer les cellules cancéreuses : la chaleur ciblée.

La thérapie photothermique est un nouveau moyen de lutte contre le cancer. Depuis trois ans, elle fait l’objet d’un engouement dans la recherche mondiale. L’idée consiste à synthétiser des molécules artificielles, qui tuent les cellules cancéreuses en dégageant de la chaleur au bon endroit. Franck Camerel, chargé de recherche CNRS dans l’équipe MaCSE(1), à l’Institut des sciences chimiques de Rennes(2), participe à ces recherches. « Nous cherchons des molécules capables d’absorber des rayons dans le proche infrarouge (entre 800 et 1300 nm), et qui convertissent efficacement cette énergie en chaleur. »

Des rayons peu absorbés par la peau

Cette conversion est le principe de l’effet photothermique. Éclairées par un laser, certaines molécules n’émettent pas de photon, mais produisent de la chaleur en se désactivant par vibration. La lumière doit se situer dans le proche infrarouge. C’est une “fenêtre thérapeutique” : les rayons lumineux, à ces fréquences, sont peu absorbés par la peau et le sang. La lumière du laser traverse alors les tissus, jusqu’à un ou deux centimètres. Les autres longueurs d’onde ne sont pas efficaces : les rayons UV (longueurs d’onde inférieures à 400 nm) sont très énergétiques et abîment les cellules, quant au rayonnement visible (entre 400 et 700 nm), les tissus l’absorbent très peu.

Franck Camerel synthétise et modifie des molécules originales, appelées complexes “métal-bis (dithiolène)”. Elles convertissent bien l’énergie lumineuse, avec un rendement maximal de 39 % : pour 100 photons reçus, 39 participent à la hausse de température. En outre, ces molécules sont stables : elles brûlent ce qu’il y a autour d’elles, mais ne se dégradent pas en chauffant. « Nous rendons ces complexes solubles dans l’eau, ou nous les encapsulons dans des nanocapsules hydrosolubles, pour les introduire dans le corps humain », détaille Franck Camerel. Quand la tumeur est éclairée au laser, la molécule brûle les cellules cancéreuses. « Mais nous sommes loin de l’application clinique, prévient le chercheur. C’est de la recherche en amont. »

Le chimiste a fabriqué plusieurs dizaines de molécules. Pour tester ces composés sur des cellules vivantes, il a fait appel à l’Institut de génétique et développement de Rennes (IGDR)(3). La biologiste Yannick Arlot-Bonnemains, responsable d’une équipe qui étudie un gène responsable de la maladie de VHL(4), a accepté la collaboration. Son équipe étudie de nouvelles thérapies pour traiter les cancers associés à la maladie de VHL. « Nous avons cultivé différents types de cellules tumorales, en présence de ces composés, explique-t-elle. Nous avons d’abord étudié leur toxicité. Les cellules sont ensuite irradiées avec un rayon laser. La lumière provoque une augmentation de température des cellules qui ont intégré le composé. Nous regardons si elle est suffisante pour les tuer. »

Seulement 20 % des cellules survivent

Trois premiers complexes ont été testés en 2015 sur des cellules de rein. Résultat : « Sous une irradiation bien spécifique, pendant 10 mn à une puissance de 5 watts par cm2, par exemple, nous sommes capables d’induire la mort des cellules cancéreuses. Cette thérapie photothermique est innovante et très intéressante », souligne Yannick Arlot-Bonnemains. « En irradiant des cellules rénales, traitées avec les composés, seulement 20 % des cellules cancéreuses survivent », précise Franck Camerel. Ces recherches ont fait l’objet d’un article dans un numéro spécial de la revue Chemical Communications.

« Contrairement aux médicaments habituels, complète Yannick Arlot-Bonnemains, ces composés sont sans effet, lorsqu’il n’y a pas d’irradiation. L’avantage est aussi que l’on peut changer le cœur de ces composés (en nickel ou en or, par exemple) pour modifier la puissance et le temps d’exposition du laser, ou faire des paliers de température, en fonction de la cible tissulaire. » Ce type de thérapie devrait permettre de limiter les effets secondaires, contrairement à la chimiothérapie.

L’IGDR va maintenant réaliser des tests sur des lignées cellulaires d’autres cancers (sein, côlon, foie). Les biologistes veulent aussi tester les composés sur des cultures de cellules en “3D”. « C’est une sphéroïde composée de centaines de milliers de cellules, explique Yannick Arlot-Bonnemains. Cette phase est très importante, pour évaluer la pénétration des composés dans une masse de cellules, et estimer l’intensité du rayonnement laser nécessaire. » Viendront ensuite les expériences sur la souris.

Franck Camerel cherche également à réduire la toxicité des molécules. Il veut les rendre le plus biocompatibles possible, en les encapsulant dans des liposomes ou des polymersomes. Pour valoriser ces découvertes, une entreprise pourrait ensuite développer et exploiter des agents photothermiques biocompatibles. Pour traiter les tumeurs superficielles, ou même les plus profondes : en amenant la lumière laser, via une fibre optique pilotée par endoscopie, à l’endroit où le tissu est atteint.

Nicolas Guillas

(1) UMR CNRS, Université de Rennes 1, ENSCR, Insa Rennes.
(2) Matière condensée et systèmes électroactifs.
(3) CNRS, Université de Rennes 1.
(4) La maladie génétique rare de von Hippel-Lindau, qui touche une personne sur 36000, peut entraîner la formation de tumeurs dans plusieurs organes.

Franck Camerel
tél. 02 23 23 59 70
franck.camerel@univ-rennes1.fr

Yannick Arlot-Bonnemains
tél. 02 23 23 46 96
yannick.arlot@univ-rennes1.fr

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