Seconde vie pour les enquêtes

N° 348 - Publié le 13 janvier 2017
Georges Kerourédan
Photo issue du livre "Commune en France, la métamorphose de Plodémet" d’Edgar Morin, publié en 1967, qui retrace l’étude menée par le sociologue à Plozévet.

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Quand un projet de recherche hors normes des années soixante renaît grâce au numérique.

De 1961 à 1965, des dizaines de chercheurs ont débarqué dans la petite commune de Plozévet, à une trentaine de kilomètres de Quimper. Ils étaient sociologues, ethnologues, géographes, médecins, psychologues ou encore historiens. Jamais un projet d’aussi grande envergure, sur un si petit territoire, n’a été depuis mené en sciences sociales. L’Action concertée de Plozévet avait été lancée dans un contexte de développement des sciences humaines et avec la volonté de renforcer l’interdisciplinarité, et d’étudier “le monde agricole et rural français dans son adaptation aux conditions de la vie moderne”. La commune finistérienne, qui comptait à l’époque près de 4000 habitants, avait été choisie pour son relatif isolement, marqué par un assez fort taux de consanguinité, la bonne tenue de ses archives et l’opinion favorable de son maire pour la recherche.

Parmi les chercheurs qui ont participé aux enquêtes, le plus connu est le sociologue Edgar Morin, bien qu’il n’ait débuté son étude que lors de la dernière année du projet. Les recherches ont donné naissance à de nombreux documents : films, enregistrements sonores, photos, rapports, articles de recherche, thèses et livres. Mais, bien qu’elles aient marqué un tournant dans les études en sciences humaines, elles ont progressivement été oubliées. Les chercheurs, pour la plupart parisiens, sont passés à d’autres sujets d’études et les documents ont été éparpillés dans diverses institutions ou chez les scientifiques.

 

Un travail de fourmis

« J’avais toujours eu l’idée de garder contact et de revenir tous les dix ans, mais pour diverses raisons, ça ne s’est pas fait », raconte Bernard Paillard, aujourd’hui directeur de recherche émérite au CNRS, qui a été l’un des enquêteurs de l’étude d’Edgar Morin. Il est à l’origine du projet Plozcorpus, mené depuis 2010 au sein du Cerhio(1). Le but du projet était d’inventorier et de numériser les archives des enquêtes, afin de les mettre à disposition des chercheurs et des Plozévétiens.

« Au départ, nous pensions reprendre toutes les enquêtes, quelle que soit la discipline, explique Aurélie Hess, ingénieur d’études au CNRS, et coresponsable du projet, mais au final nous avons essentiellement travaillé sur les enregistrements sonores de l’enquête Morin, dont les archives étaient disponibles. » Soit 127 bandes magnétiques, représentant 300 heures d’enregistrement. La numérisation a été faite par l’association Dastum, spécialisée dans la conservation du patrimoine sonore breton. Même si l’objectif premier était de rendre les enregistrements plus facilement exploitables, cette numérisation a aussi permis leur conservation. Certaines bandes, en moins bon état, n’auraient sans doute plus été lisibles d’ici à quelques années. Il a ensuite fallu constituer une base de données, afin de remettre les enregistrements dans leurs contextes et de les documenter : la date d’enregistrement, la fonction de la personne interviewée, les lieux et les dates évoqués, ainsi qu’un résumé de chaque entretien ont été méticuleusement répertoriés.

 

Les enquêtes version 2.0

L’ensemble constitue un témoignage important, non seulement de l’histoire des recherches en sciences sociales, mais aussi de l’évolution du mode de vie et de la façon de parler français dans cette zone bretonnante.

Les habitants n’ont pas été oubliés : ils ont pu s’approprier les enquêtes grâce au projet Plozarch(2). Celui-ci s’est articulé autour d’un carnet d’enquêtes, mis en ligne sur la plate-forme Hypothèses (lire p. 12). « Il a déterminé la forme du travail », indique Bernard Paillard. Grâce à ce blog, les habitants ont pu (re)découvrir le contenu des enquêtes des années 60 et contribuer à son actualisation. Ils ont partagé leurs souvenirs et des documents personnels et ont participé à de nouvelles enquêtes, qui ont mis en lumière la transformation de la vie quotidienne depuis les premières études de Plozévet... à commencer par l’utilisation de l’informatique et d’Internet !

Maryse Chabalier

(1) Centre de recherches historiques de l’Ouest (Unité mixte de recherche CNRS, Universités Rennes 2, Bretagne Sud, du Maine et d’Angers).
(2) Soutenu par la Région et associant l’Université Rennes 2, le Centre de recherches historiques de l’Ouest et la commune de Plozévet. plozevet. hypotheses.org.

Bernard Paillard, tél. 02 43 37 84 17, paillard1@icloud.com
Aurélie Hess, tél. 02 99 14 18 98, aurelie.hess@univ-ubs.fr

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