Les secrets de leur digestion

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N° 352 - Publié le 15 mai 2017
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Maternel, en formule infantile, cru, chauffé ou mélangé, différents traitements du lait sont comparés par les chercheurs de l’Inra qui étudient la digestion des nourrissons.

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Les nourrissons et les seniors : ces deux populations fragiles sont ciblées par les recherches menées à Rennes sur la digestion des produits laitiers.

Les produits laitiers, tout le monde connaît. Mais plus que leur composition en lipides, protéines..., c’est la structure même de ces aliments qui est aujourd’hui étudiée de très près par les chercheurs. À Rennes, au laboratoire Science et technologie du lait et de l’œuf (STLO) de l’Inra (1), Didier Dupont et son équipe ont démontré (2) qu’elle influe sur les qualités nutritionnelles des produits laitiers, qui elles-mêmes dépendent du temps de digestion de l’aliment.

 

Suspicion d’allergies

Parmi les paramètres qui jouent sur la structure des molécules, il y a le chauffage. La chaleur fait s’agréger les protéines (comme l’ovalbumine du blanc d’œuf). Au cours de leurs travaux chez les nourrissons, les chercheurs rennais ont comparé le lait maternel avec celui des formules infantiles. Car pour éviter toute contamination bactérienne, celles-ci sont chauffées jusqu’à sept fois au cours de leur fabrication. Et pendant ces traitements, les molécules de caséine (qui représentent 40 % des protéines contenues dans les formules infantiles) s’agrègent entre elles..., alors que dans le lait maternel, elles restent à l’état natif et forment de grandes “pelotes” appelées micelles. « Les allergies à la caséine sont en augmentation, explique le chercheur. Peut-être que ce changement de forme des protéines, qui les rend plus résistantes à la digestion, est en cause. C’est ce que nous allons chercher à comprendre. » Dans la halle technologique qui leur permet de reproduire toute la chaîne de fabrication des produits laitiers à l’échelle semi-industrielle (3), les chercheurs vont décortiquer tout le procédé pour voir comment réduire les étapes de chauffage. Et peut-être trouver une nouvelle voie à transmettre aux industriels ?

 

Chez des prématurés

Un autre cas étudié : celui des nouveau-nés prématurés. De faible poids à la naissance, ces bébés ont besoin d’assimiler rapidement leurs repas pour grossir. Les chercheurs ont comparé la digestibilité du lait maternel cru ou chauffé (4) et aussi du lait homogénéisé ou non. Les expériences ont d’abord été réalisées in vitro dans un digesteur (lire encadré ci-dessous), puis in vivo dans le cadre d’une étude clinique menée grâce à une collaboration exceptionnelle avec le CHU de Rennes sur vingt petits patients. « Les nouveau-nés prématurés sont équipés d’une sonde gastrique qui sert à les nourrir. Nous avons obtenu l’autorisation d’utiliser cette sonde pour effectuer des prélèvements dans le tube digestif afin de mesurer les vitesses de digestion. Selon des quantités contrôlées et compensées de façon à ne pas diminuer le repas du bébé, bien sûr ! » Résultats : le chauffage module la digestion de certaines protéines pour les raisons évoquées plus haut et l’homogénéisation rend plus rapide la digestion de la matière grasse. « Cette opération consiste à séparer les gros globules de lipides présents dans le lait maternel en fines gouttelettes plus facilement assimilables, précise Didier Dupont. Elle pourrait être intéressante à généraliser dans le cas particulier des prématurés pour améliorer leur croissance. Mais il faut encore confirmer ces résultats avec une étude de plus grande ampleur. »

 

Un fromage fait au labo

Les seniors, dont le système digestif s’altère avec les années, constituent l’autre population qui intéresse les chercheurs (5). Ils étudient cette fois l’influence de la texture des aliments sur la libération du calcium et d’un acide aminé, la leucine, connu pour limiter la fonte musculaire chez les personnes âgées. Pour sa thèse (encadrée par Juliane Floury, maître de conférences à Agrocampus Ouest), Lucie Lorieau compare la digestion d’un fromage du commerce avec un autre fabriqué au laboratoire, enrichi en leucine. « Nous cherchons à formater l’aliment pour que sa digestion déclenche des pics de libération de la leucine. On appelle cela de l’ingénierie inverse », précise Didier Dupont. Ce sont les porcs de la station Inra de Saint-Gilles (près de Rennes) qui ont pour l’instant les honneurs de ce fromage maison ! Les résultats sont attendus d’ici à l’été.

La digestion mimée au labo

Les chercheurs arrivent à mimer le processus de digestion in vitro, dans un réacteur. Avec ses trois compartiments qui reproduisent l’estomac, le duodénum et le reste de l’intestin grêle, le dernier en date, Didgi (photo), est très proche des conditions réelles. « Notre premier digesteur n’avait que deux compartiments, explique Didier Dupont, chercheur au laboratoire STLO. Avec cette nouvelle version du Didgi, nous pouvons reproduire le flux de l’aliment dans les différents compartiments du tube digestif, les phases d’acidification dans l’estomac ainsi que les vidanges gastro-intestinales. » Fruit d’une collaboration entre les deux équipes de chercheurs (Inra de Grignon et de Rennes), Didgi leur permet aussi de travailler dans les mêmes conditions expérimentales. Car, avant, chacun avait ses recettes ! Les démonstrateurs ont été présentés à Rennes du 4 au 6 avril derniers pendant le colloque international sur la digestion organisé par le réseau international Infogest, coordonné par Didier Dupont (1).

 

 (1) De 2011 à 2015. Lire Une étape encore mal digérée dans Sciences Ouest n° 287-mai 2011.

Nathalie Blanc

(1) UMR du centre Inra Bretagne-Normandie.

(2) Travaux menés dans l’élevage de porcs, modèle de l’homme adulte, de l’Inra à Saint-Gilles (près de Rennes).

(3) (Re)lire Une plate-forme laitière rénovée dans Sciences Ouest n° 318-mars 2014

(4) Pour des raisons de sécurité sanitaire, le lait maternel issu des lactariums est pasteurisé (chauffé 30 min à 63 °C).

(5) Dans le cadre d’un gros projet mené en consortium par quinze équipes de recherche et des industriels, et financé par l’Agence nationale de la recherche jusqu’à la fin de 2019.

Didier Dupont
02 23 48 53 35
didier.dupont@inra.fr

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