Tout est bon dans le déchet

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N° 358 - Publié le 15 janvier 2018
Maryse Chabalier
Dans le laboratoire d'Irstea, Anne Trémier teste les paramètres pour améliorer la microméthanisation.

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Source d’énergie, support de culture pour pesticide naturel, puis engrais : les biodéchets peuvent être tout cela à la fois.

Nous expédions la plupart de nos déchets à l’extérieur des villes tandis que nous nous chauffons et nous éclairons avec de l’énergie qui a parcouru des centaines de kilomètres. Pour diminuer ces flux, une équipe d’Irstea(1) de Rennes coordonne depuis 2016 un projet sur la valorisation de proximité des biodéchets : Decisive(2). Il regroupe treize partenaires publics et privés de six pays européens, parmi lesquels l’Université autonome de Barcelone (Espagne), l’Université d’Aarhus (Danemark) et l’Université technologique de Hambourg (Allemagne). « Il y a au minimum 30 % de déchets organiques, principalement d’origine alimentaire, dans les poubelles résiduelles, c’est-à-dire en dehors des emballages qui sont pris en charge par le tri sélectif », explique Anne Trémier, coordinatrice du projet. Les scientifiques étudient la possibilité de les utiliser dans des petits méthaniseurs, capables de traiter cinquante à deux cents tonnes de déchets par an, soit la production de biodéchets de 500 à 2000 habitants, et placés près des habitations qui bénéficieraient de l’énergie produite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Cette carte montre les emplacements optimaux pour des microméthaniseurs décentralisés dans le Grand Lyon, en minimisant les distances entre les sources de déchets (en vert), les unités de traitement (en rouge) et les lieux d'utilisation du résidu de la méthanisation (en marron).
Pierre Thiriet/Irsteal

Rien ne se perd

L’une des contributions de l’équipe rennaise au projet est de déterminer les paramètres idéaux pour produire du méthane. La méthanisation s’appuie sur la dégradation de la matière organique par des microorganismes qui produisent du méthane et du dioxyde de carbone en l’absence d’oxygène. Elle nécessite notamment de la chaleur.

« Deux températures sont utilisées par les méthaniseurs actuels : aux alentours de 37 °C ou de 55 °C. La deuxième possibilité produit du biogaz plus vite, mais nécessite plus d’énergie. Nous sommes donc partis sur la première solution, qui a un rendement assez intéressant », explique l’ingénieur de recherche. Le méthane produit sera utilisé pour fournir à 80 % de la chaleur, dont une partie sera consommée par le processus, et 10 % d’électricité(3). Cinquante tonnes de biodéchets pourront, par exemple, éclairer et chauffer une serre pendant un an. Quatre méthaniseurs à échelle réduite (photo) sont actuellement en fonctionnement dans le laboratoire de l’institut pour tester les différents facteurs améliorant le rendement : variation de la température de quelques degrés, temps de fermentation, quantité de déchets assimilables...

Tout se transforme

Une fois le méthane produit, l’histoire ne s’arrête pas là : la partie solide du résidu de la méthanisation servira à cultiver des bactéries d’intérêt par fermentation sur substrat solide. « Des tests ont été faits par l’Université autonome de Barcelone pour trouver des microorganismes performants sur les déchets. La bactérie Bacillus thuringiensis a été retenue. C’est un biopesticide naturel, qui est déjà cultivé, mais généralement sur de la biomasse spécialement produite à cet effet », détaille Anne Trémier. Finalement, ce qui reste suite à ces opérations pourra rejoindre le compost. « L’idée est de valoriser au maximum le produit, contrairement au compostage direct ou à l’incinération. »

Les chercheurs rennais développent également un outil d’aide à la décision, afin d’aider les collectivités à placer les méthaniseurs et à dimensionner le réseau de collecte : « En dessous de cinquante tonnes par an, nous avons calculé que les biodéchets produisent moins d’énergie que ce qui est consommé pour la méthanisation », explique la scientifique. En plus des particuliers, les établissements de restauration collective sont des fournisseurs de déchets intéressants. L’outil permettra, par exemple, de déterminer où placer un méthaniseur pour avoir suffisamment de biodéchets dans un rayon de deux kilomètres.

Mise en pratique

Le projet devrait passer à la phase concrète à la fin de l’année, avec l’installation de deux démonstrateurs. L’un se situera près d’une ferme urbaine partenaire du projet, à Écully près de Lyon. L’autre sera sur le campus de l’Université autonome de Barcelone. « La direction de l’université a une démarche de réduction des déchets assez poussée. Avec plus de 30000 étudiants, dix restaurants universitaires et des logements, le campus est représentatif d’un type de quartier qui pourrait être intéressé par la microméthanisation », précise Anne Trémier. Les demandes d’autorisation sont en cours.

« Quelle que soit leur taille, les méthaniseurs doivent faire, en France, l’objet d’une déclaration Icpe(4) qui est lourde », explique-t-elle. Ceci est à la fois dû aux règles de sécurité concernant les zones à atmosphère explosive et aux risques sanitaires de propagation de maladies par les déchets d’origine animale, qui doivent subir un traitement préalable. Mais un nouveau règlement spécifique aux petites installations est prévu, ce qui devrait faciliter l’implantation de microméthaniseurs. Rendez-vous en 2020 pour connaître les conclusions du projet !

Maryse Chabalier

(1) Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture. (2) Decentralized management scheme for innovative valorization of urban biowaste. Projet financé par l’Union européenne dans le cadre du programme de recherche et d’innovation H2020.
(3) Avec le modèle de moteur Stirling sélectionné pour le projet.
(4) Installation classée pour la protection de l’environnement.

Anne Trémier
tél. 02 23 48 21 55
anne.tremier@irstea.fr

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