Où va le plastique dans l’océan et que fait-il ?

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N° 364 - Publié le 11 septembre 2018
Nicolas Guillas
Ce bocal contient des plastiques et les nanoplastiques associés, récoltés sur une plage de Guadeloupe, Alice Pradel va modéliser leur transport dans l’océan. Elle démarre sa thèse sous la direction de Julien Gigault, dans son laboratoire de nanométrologie, à l’Osur.

Des chimistes rennais étudient l’itinéraire des nanoplastiques.

Le plastique pollue tous les océans. À tel point que les coton-tiges et les couverts jetables seront interdits en France en 2020. Mais nous ne savons pas exactement ce qui se passe quand une matière plastique se retrouve dans l’eau. C’est l’objet du travail de Julien Gigault, coordinateur du projet Pepsea(1) de l’Agence nationale de la recherche. Chargé de recherche CNRS au laboratoire Géosciences Rennes(2), Julien Gigault s’intéresse au cycle de vie des nanoplastiques.

Un gobelet jetable

Nous sommes ici dans le monde de l’infiniment petit, inférieur au micromètre, soit 0,001 millimètre. Contrairement à une idée reçue, les nanoplastiques ne sont pas toujours des macroplastiques, supérieurs à 2 cm, qui se dégradent jusqu’à devenir plus petits. « Dès que vous cassez un gobelet jetable, des poussières s’échappent, ce sont des nanoplastiques, détaille Julien Gigault. On en trouve partout. »

Chimiste de formation, le scientifique s’est d’abord concentré sur le comportement de ces polluants dans les estuaires(3). Cet espace entre terre et mer est un lieu d’observation propice pour en savoir plus sur le cycle de vie des nanoplastiques. Dans un cocktail d’eau salée et d’eau douce, exposée aux ultraviolets et aux marées, cette matière subit des assauts qui la pousse à “s’adapter” à son environnement. « Nous nous sommes aperçus qu’elle change de forme, pour devenir plus compacte. Cela nous donne des indices pour comprendre la réaction du plastique face à un fort apport en sel, par exemple. Nous espérons que cela nous permettra d’anticiper ses déplacements et ses comportements futurs. »

Dans la mangrove

Ces observations sont un point de départ qui facilitera le travail des chercheurs d’autres disciplines. Alice Pradel, qui commence sa thèse dans l’équipe du chercheur, explique ce lien : « Nous pourrons indiquer aux biologistes où réaliser des prélèvements dans un estuaire ou une mangrove. Pour savoir à quels endroits les nanoplastiques restent à la surface, et là où ils changent de forme. »

Des chercheurs du laboratoire Géosciences Rennes vont d’ailleurs tenter de tracer le parcours des nanoplastiques, en caractérisant la signature en métaux (terres rares, plomb, fer, cuivre, etc.) fixés dessus, qui agissent comme une sorte de balise. Car ils voyagent beaucoup ! Dans les estuaires en France métropolitaine ou en Guadeloupe... « Cette île est un terrain de recherche important, explique Julien Gigault. La côte est de la Guadeloupe reçoit des nanoplastiques à cause des courants marins. Sa côte sud, faite de mangroves, en émet à cause d’une décharge voisine. »

Dans la banquise

Ces chimistes de l’environnement s’intéressent aussi au Grand Nord. Alice Pradel va bientôt se rendre au Spitzberg(4) pour réaliser des prélèvements de nanoplastiques, potentiellement présents dans la banquise. « Nous aimerions réussir à les suivre des estuaires jusqu’au glacier, pour comprendre le chemin qu’ils empruntent et comment ils réagissent et évoluent durant ce parcours », détaille la jeune chercheuse.

Il contamine les écosystèmes

Des biologistes brestois étudient l’effet du plastique sur les organismes vivants.

Les fragments de plastiques, inférieurs au micron, sont toxiques pour les espèces marines. « On connaît très peu de choses sur ces particules appelées nanoplastiques, explique Ika Paul-Pont, chercheuse CNRS au Lemar(5), à Brest. Mais depuis deux ans, nos études montrent à quel point ils contaminent les écosystèmes. » En 2017, parmi les 8,3 milliards de tonnes de plastiques produits, près de 10 % se retrouveraient dans les océans ! Ils se dégradent sous l’effet de la lumière et de la force des vagues. Ils deviennent minuscules, puis invisibles à l’œil nu. « Leur toxicité est plus forte que celle des microplastiques(6), poursuit l’écotoxicologue. Ils traversent les membranes des organismes marins. »

Comprendre les effets du plastique sur les poissons, les mollusques ou les algues est la spécialité de l’équipe brestoise. En exposant les huîtres adultes à des microplastiques, les chercheurs ont mis en évidence des effets délétères sur la génération suivante. La production de gamètes est altérée, en quantité et en qualité. La croissance des larves est affectée. Le doctorant Kévin Tallec(7) s’intéresse désormais à la contamination du bivalve, aux premiers stades de sa vie, par les nanoplastiques. Une publication scientifique va bientôt présenter ses résultats.

Des virus sur le plastique

Et si les morceaux de plastique véhiculaient aussi des maladies ? « Ces matériaux sont transportés sur de longues distances et ne se dégradent pas, poursuit la chercheuse. Ce sont de vraies éponges, qui absorbent les polluants et sont colonisées par de nombreux microorganismes. » Une expérience a consisté à incuber des microplastiques sur un site ostréicole, en rade de Brest. Durant trois périodes : avant, pendant et après un épisode de mortalité naturelle (virus et bactéries) chez les huîtres. Les analyses en cours montreront si les pathogènes “embarquent” sur les plastiques.

Une autre étude se consacre au phytoplancton, le premier maillon de la chaîne alimentaire. Comment réagit-il avec le plastique et quels sont les effets sur sa croissance ou la photosynthèse ? Les Brestois réalisent des expériences pour comprendre ce transfert du plastique dans la chaîne alimentaire. Du phytoplancton pollué peut en effet contaminer le zooplancton. Donc les poissons et l’homme.

Marion Guillaumin
Julie Lallouët-Geffroy

(1) Le programme ANR Pepsea (Nanoparticules de plastiques dans l’environnement : source, impact et prédiction) réunit les universités de Pau, Bordeaux, Rennes, Toulouse et des Antilles. Il a débuté en janvier 2018 pour une durée de trois ans et demi.
(2) Au sein de l’Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes (Osur).
(3) Julien Gigault a cosigné un article sur le rôle des estuaires dans le cycle de vie des nanoparticules dans Environmental science nano, mars 2018.
(4) L’archipel du Svalbard, dans l’océan arctique.
(5) Le Laboratoire des sciences de l’environnement marin fait partie de l’Institut universitaire européen de la mer (UBO, Ifremer, IRD, CNRS).
(6) Plus petits que les macroplastiques (lire article p. 4), les microplastiques sont des particules dont certaines sont encore visibles à l’œil nu, de 5 mm pour les plus grosses. Le nanoplastique n’a pas la même définition pour les chimistes et les biologistes.
(7) Kevin Tallec est encadré à l’IUEM par Ika Paul-Pont (CNRS) et Arnaud Huvet (Ifremer).

Julien Gigault, tél. 02 23 23 30 49, julien.gigault@univ-rennes1.fr
Alice Pradel, alice.pradel@univ-rennes1.fr

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