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Un combat pour l’égalité

N° 368 - Publié le 3 janvier 2019

Rozenn Texier-Picard coordonne les chargés de missions égalité des établissements d’enseignement supérieur(1).

Sciences Ouest : Quelles sont les inégalités liées au genre dans la recherche ?

Rozenn Texier-Picard : Elles existent à plusieurs niveaux. Beaucoup de femmes restent au rang B, c’est-à-dire à des postes de maître de conférences ou chargée de recherche, plutôt qu’au rang A, professeure des universités.

SO : Comment l’expliquez-vous ?

RTP : Il y a plusieurs facteurs. Des études ont mis en évidence des biais inconscients dans le recrutement de chercheuses et d’enseignantes-chercheuses. Lors de la sélection du dossier et à l’entretien, il est fréquent que le jury n’évalue pas une femme de la même manière qu’un homme. Si un homme publie seul un papier, cela peut être perçu comme de l’autonomie. Si c’est une femme, le jury peut penser qu’elle s’entend mal avec son directeur de recherche ! Il y a aussi le fait que souvent les femmes ne gèrent pas leur carrière de la même manière. Pour devenir professeur des universités, la mobilité est généralement exigée. Mais c’est plus discriminant pour une femme. Elle ne se dit pas facilement « Je quitte la région, et mon mari va me suivre. »

SO : Le déséquilibre est-il important ?

RTP : Oui, il est élevé ! Il y a la problématique de recrutement, mais pas seulement. Les femmes sont souvent moins préoccupées par leur évolution de carrière que les hommes. Si leur métier leur convient, elles restent souvent au même poste.

SO : Au quotidien, quelles inégalités rencontrent les femmes ?

RTP : Dans le monde de la recherche, les charges ne sont pas réparties de la même manière selon le genre. Les missions dites “administratives” sont confiées majoritairement aux femmes. Par exemple, la communication ou la responsabilité d’une promotion d’étudiants qui n’ont pas un niveau élevé.

L’accès aux financements diffère aussi. En 2012, une étude(2) a montré que le taux de succès à une bourse européenne(3) est plus faible pour les femmes. L’évaluation de la qualité de leur travail antérieur révèle des biais importants.

SO : Depuis quand ces questions sont-elles considérées ?

RTP : L’Europe a eu une politique incitative forte, il y a quelques années. En France, c’est en 2012 qu’a été créée la Conférence permanente des chargées de mission égalité-diversité, dont je suis présidente. Elle rassemble aujourd’hui 53 universités, 19 grandes écoles et 3 Comue(4). Nous échangeons régulièrement, et une synergie remarquable anime les acteurs qui se mobilisent. La CPED a aidé à prendre en compte ces questions dans l’enseignement supérieur et la recherche. Elle a permis que les choses évoluent, notamment pour harmoniser les congés maternité des enseignantes-chercheuses.

SO : Et en Bretagne ?

RTP : Notre région est un territoire engagé. Beaucoup d’établissements y sont mobilisés et nos actions communes sont soutenues par la Région, la préfecture et le rectorat, moralement et financièrement. Les formations, la retransmission numérique de colloques, des initiatives telles que “Stop au harcèlement de rue” et la semaine d’action contre les violences faites aux femmes, sont quelques exemples !

Des actions contre la violence récompensées

Six établissements rennais(5), avec l’Université de Bretagne Occidentale et l’Université de Bretagne Sud, viennent d’être récompensés pour leurs actions de prévention et de sensibilisation contre les violences sexuelles. Ils ont reçu le label Orange Day Champion 2018 du comité ONU Femmes France, fin novembre. « C’est la troisième fois que nous sommes lauréats, se réjouit Rozenn Texier-Picard. Cette distinction nous offre une visibilité et une crédibilité. » Parmi les projets réalisés récemment, l’UBO a organisé une conférence sur les violences faites aux femmes dans le sport. Elle a été diffusée en direct dans les autres établissements. L’UBS sensibilise sur la prostitution à l’université mais aussi sur le consentement. « Nous avons organisé une soirée théâtrale avec les Culottées du bocal, raconte Nathalie Bourgougnon, en charge de l’égalité à l’UBS. Ce format nous a permis d’aborder ce sujet d’actualité de manière ludique. »

Marion Guillaumin

(1) Rozenn Texier-Picard est maîtresse de conférences à l’École normale supérieure de Rennes, où elle est en charge de la diversité et de la responsabilité sociétale. Elle est aussi présidente de la Conférence permanente des chargées de mission égalité, diversité rassemblant 70 établissements d’enseignement supérieur en France.
(2) Une étude portant sur 2830 candidats à des bourses individuelles ERC 2010-2012. Elle a été menée par Romy Van der Lee de l’Institut de psychologie à l’Université de Leiden (Pays-Bas).
(3) Bourses ERC remises par le Conseil européen de la recherche.
(4) Communauté d’universités et établissements.
(5) Université de Rennes 1, Université de Rennes 2, ENS Rennes, Insa, ENSCR, EHESP.

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