Le Grand Nord vu par ses habitants

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avril 2020
En mission près des pôles
JOSEE BRUNELLE / PNT
Près de la baie d'Hudson, au sud de l'Arctique, le Parc national Tursujuq est une région étudiée par Fabienne Joliet, docteure en géographie culturelle.

L'Arctique, où le réchauffement s’accélère, est une région habitée. Comment ses habitants, les Inuits, perçoivent-ils ce paysage qui change ?

Voit-on le même paysage si l’on est Inuit ou Occidental ? Cette question intéresse la géographe Fabienne Joliet, du CNRS à Angers1. En lien avec le programme InterArctic (lire p. 16), la chercheuse mène le projet Nuna2. Il fait partie des études qui ont conduit à la création en 2012 du Parc national Tursujuq au Nunavik, au nord du Québec. Cette initiative originale contribue aux efforts du Canada pour endiguer le dérèglement climatique. Elle concilie les visions du paysage du gouvernement canadien, des visiteurs et des Inuits.

Ce qui apparaît désertique

« Depuis la Renaissance, les Occidentaux ont dissocié nature et culture, rappelle la géographe. Tandis que la cosmologie inuite n’a jamais séparé les deux. Pour eux, tout a une âme, même les rochers. » Selon la tradition animiste3 inuite, l’homme est partie intégrante de la nature. Ainsi, en terme de paysage, ce qui nous apparaît beau mais désertique, ne l’est pas du point de vue des Inuits ! La géographe, qui se rend régulièrement sur place, l’a montré, notamment à l’aide d’ateliers de dessins d’enfants. Un concours photographique a été organisé auprès de la population : chaque participant devait proposer une image de son paysage préféré. « Pour nous Occidentaux, le Nunavik est le Grand Blanc, explique Fabienne Joliet. C’est un paysage vierge, isolé, immaculé. Mais pour les Inuits qui y vivent, le Nunavik est socialisé, rempli d’esprits, avec plusieurs saisons. »

Une valeur spirituelle

Chez les Inuits, la notion de propriété n’existe pas. Dès lors, le concept de parc national leur paraissait étranger. « Pour les Blancs, il s’agissait d’un geste esthétique et environnemental, qui permettait au Québec d’atteindre son quota d’aires protégées. » Afin d’y intégrer les Inuits et leurs traditions, le gouvernement canadien a adapté son projet. « Le parc a été agrandi pour ajouter un bassin versant, qui avait une valeur nourricière et spirituelle pour les Inuits. La chasse et la pêche ont été interdites pour les touristes, mais pas pour les Inuits, dont c’est le mode de vie. La gouvernance est partagée entre les "Blancs canadiens" et les autochtones. » Mais les Inuits se sont-ils appropriés le parc qu’ils gèrent ? C’est le nouveau projet d’étude de Fabienne Joliet.

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CLAIRE GUEROU

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