« Protéger, ce n’est pas seulement contraindre »

Les scientifiques mobilisés

N° 381 - Publié le 8 juillet 2020
XAVIER DUBOIS
Juriste spécialisée dans la santé, Stéphanie Renard estime que la sécurité sanitaire oublie les plus vulnérables.

Moins de libertés, plus de sanctions : la juriste Stéphanie Renard s’inquiète des conséquences des mesures prises contre l’épidémie.

«Jusqu’à quel point restreindre la liberté, au nom de la protection de la santé ? » Voilà un sujet de dissertation que Stéphanie Renard pourrait soumettre à ses étudiants en droit public. Pour l’heure, c’est sa propre réflexion sur la crise du Covid-19 que l’enseignante-chercheuse de l’Université Bretagne Sud1, à Vannes, partage dans des articles.

« En 2009, le risque d’épidémie de grippe A (H1N1) avait été géré grâce à des dispositifs prévus par le Code de la santé publique, explique la juriste. Pour la crise sanitaire d’aujourd’hui, une législation d’exception a été créée. Elle soulève des questions au sujet des libertés fondamentales. »

Au sein d’un réseau de juristes, Stéphanie Renard suit au jour le jour l’état d’urgence sanitaire instauré le 23 mars2. “L’ordre public sanitaire” était l’objet de sa thèse en 2008. Elle étudiait déjà l’évolution de la protection de la santé. « Nous vivons aujourd’hui des restrictions de liberté inédites. Nous nous y résignons, car ces mesures sont prises “pour notre bien”. J’y vois l’apothéose d’une sorte de “paternalisme sanitaire de l’État“, qui a émergé il y a quelques années. » Pour que l'on comprenne cette analyse, la chercheuse nous invite à remonter dans le temps.

Sécurité sanitaire

Jusqu’au milieu du 20e siècle, l'État a l’obligation de protéger la santé de l’ensemble de la population. Il s’agit surtout de lutter contre des périls majeurs (épidémies, insalubrité) pour maintenir l’ordre public. Puis la protection de la santé devient aussi un droit de chaque individu. Une rupture survient dans les années 1990, avec l’affaire du sang contaminé3. « L’État a ensuite repensé la protection de la santé, au profit de la sécurité sanitaire. La prévention des risques est devenue un impératif ». L’État-protecteur emprunte alors les méthodes de l’État-gendarme : « C’est flagrant dans la crise actuelle, dont la gestion est policière, avec un renforcement des sanctions. »

Violences intrafamiliales

Stéphanie Renard ne remet pas en cause l’utilité du confinement.  Mais elle regrette que les vulnérabilités n’aient pas été davantage prises en compte. Elle s’inquiète des conséquences néfastes de la mesure, comme la détresse psychique des personnes âgées isolées ou les violences intrafamiliales.
« Protéger, ce n’est pas seulement contraindre. C’est aussi s’adapter aux plus vulnérables, ou distribuer des masques si nécessaire. Des mesures prises uniquement “au nom de la sécurité“ peuvent avoir des effets sanitaires désastreux. »

Justine Caurant

1. Laboratoire de recherche en droit LabLex (Université de Bretagne occidentale et Université Bretagne Sud).
2. Le Réseau de veille sur l’état d’urgence sanitaire, dont elle fait partie, a diffusé fin avril une note d’alerte sur les atteintes aux droits et libertés.
3. Des médecins et ministres ont été jugés pour la contamination, par le virus du sida, de personnes transfusées.

Stéphanie Renard, 02 97 01 27 44,
stephanie.renard@univ-ubs.fr

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