Métavers : comment vivrons-nous dans le monde numérique ?

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avril 2022
ADOBE STOCK

Sorte de monde virtuel parallèle au nôtre, le métavers est le nouveau mot d’ordre de la “tech”. Une perspective qui pourrait chambouler notre société.

Un univers numérique en 3D qui continue d'exister et d'évoluer même quand l’utilisateur se déconnecte… Voilà ce que souhaite créer Facebook, rebaptisé Meta depuis le 28 octobre 2021. En effet, le réseau social compte mobiliser la réalité virtuelle (VR) et a mis sur la table des moyens colossaux1 pour amorcer sa mutation vers le fameux métavers. “Meta” pour au-delà et “vers” pour univers, ce concept désigne une plateforme agrégeant tous nos usages numériques2. Un vieux rêve de la science-fiction puisque le terme de métavers a été inventé en 1992 dans le roman Le samouraï virtuel de Neal Stephenson, puis approché par des jeux vidéo, pour la plupart multi-joueurs (ex. Second Life sorti en 2003) où chacun peut évoluer librement et façonner son environnement sans but prédéfini.

Améliorer les sensations

Les expériences immersives et interactives offertes par la réalité virtuelle sont de plus en plus accessibles. Il faut dire que cette technologie a bien progressé ces dernières années. Plus légers, plus performants mais moins chers, « les casques sont maintenant disponibles pour le grand public », atteste Maud Marchal, chercheuse à l’Irisa3 à Rennes. Afin d’améliorer les sensations de l’utilisateur, des dispositifs haptiques4 et des interfaces sont testés dans ce laboratoire rennais. « Les réseaux télécoms et internet, qui supportent des flux de données de plus en plus massifs, garantissent également une expérience plus fluide et plus immersive qu’à l’époque Second Life », souligne Raphaël Suire, professeur en management de l’innovation à l’Université de Nantes. Et Meta peut compter sur sa force de frappe : la firme a racheté le fabricant de visiocasques Oculus VR il y a huit ans.
Mais les ambitions du géant du web suscitent de nombreuses interrogations. Le métavers ayant pour vocation d’englober des services jusqu’alors dispersés, le risque est qu’un seul acteur domine à terme l’ensemble de l’écosystème numérique. « L’histoire du web social montre que le premier à proposer un service se retrouve souvent dans une position de quasi-monopole, car les utilisateurs veulent poster leur contenu là où l’audience est déjà maximale, et réciproquement », poursuit le chercheur. C’est cet “effet réseaux” qui a favorisé l’émergence des GAFA5. Le risque de position dominante est d’autant plus inquiétant que Meta est déjà embourbé dans des scandales liés à l’aspect potentiellement addictif de ses applications, ainsi qu’à l’utilisation des données personnelles de ses utilisateurs dont la captation pourrait être démultipliée par l’ajout des casques de réalité virtuelle et des technologies haptiques.

Entre sphères privées et publiques

Une autre incertitude concerne la modification de la perception de l’espace social. « Sur Facebook, la frontière entre les sphères privées et publiques est brouillée : quand on poste un message, on ne sait jamais vraiment qui va le lire. Le métavers pourrait étendre cette confusion », souligne Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur en sciences de l’information à l’Université de Nantes. À ce titre, la première affaire de harcèlement dans le métavers est révélatrice : elle concerne une journaliste dont l’avatar a été agressé par plusieurs avatars masculins pendant un test de la plateforme Meta. Pour que ce type de situation ne se reproduise pas, Meta a dévoilé une mesure consistant à doter les avatars d’une bulle de protection infranchissable de 1,2 m. « Cette distance, suggérée par les travaux de l’anthropologue Edward Hall, est généralement considérée comme la frontière entre l’espace privé et l’espace public dans les cultures occidentales. » Malgré tout, Meta ignore d’autres frontières plus fines, notamment entre la sphère intime et la sphère privée. « Ce solutionnisme technologique interroge car ce n’est pas le rôle d’un acteur privé de résoudre les conflits dans un espace social commun. Les solutions devraient davantage relever de décisions démocratiques et leur exécution revenir à des instances comme la police et la justice. »

Coût social et économique

Bien qu’il place le métavers à l’agenda médiatique et en fasse sa priorité absolue, rien ne garantit que Meta gagne son pari. En effet, l’adoption des technologies VR est pour le moment embryonnaire. « Cela implique un coût social lié au fait de se couper de son environnement immédiat mais aussi un coût économique par l’achat d‘équipements qui ne sont pas encore à la portée de tous », fait remarquer Olivier Ertzscheid. D’autres acteurs6 ambitionnent d’incarner un métavers moins axé sur la VR. Pour autant, certains usages peuvent s’imposer plus vite qu’on ne le pense : « C’est ce qui s’est produit avec les caméras de vidéosurveillance, jugées autrefois liberticides et anxiogènes. Aujourd’hui, elles sont totalement banalisées. »
Certains chercheurs appellent donc à une prise de conscience rapide sur l’essor du métavers pour éviter d’éventuelles dérives. « Le digital market act, une loi actuellement en discussion au niveau européen, pourrait faciliter la remise en cause des monopoles sur le web, pour l’instant difficiles à attaquer à cause de l’absence de lois adaptées, avance Raphaël Suire. Des initiatives plus décentralisées passant par la blockchain7, qui permettent de reconsidérer le stockage et l’exploitation de la donnée, pourraient aussi limiter ce genre de monopoles même si les services basés sur ces technologies sont très émergents. » Vaste chantier en perspective !

Le coût écologique, un enjeu oublié

« Un tel univers numérique susceptible d’héberger un milliard d’utilisateurs suppose des ressources de calcul et de stockage de données sans commune mesure avec ce qu’on connaît aujourd’hui », souligne Raphaël Suire. Non négligeable quand on sait que le numérique pourrait déjà représenter 7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2025 selon l’organisation The Shift Project. Et ce sont les dispositifs des particuliers qui pourraient avoir les plus fortes conséquences environnementales ! En effet, les casques VR et les accessoires haptiques s’ajoutent aux smartphones dont chaque exemplaire nécessite déjà l’extraction de 500 kg de matière.

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HUGO LEROUX

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