Plaidoyer pour la culture scientifique

Carte blanche

N° 401 - Publié le 15 novembre 2023
partage de connaissances
Portrait de Éric Lagadec
Carte blanche
Éric Lagadec
Astrophysicien au laboratoire Lagrange de l’Observatoire de la Côte d’Azur et président de la Société française d’astronomie et d’astrophysique

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Notre société est face à des défis scientifiques immenses. Nous traversons une pandémie historique, chaque semaine ou presque des évènements climatiques sur Terre nous rappellent que le climat se dérègle, et nous devons faire face à une nécessaire transition énergétique.

La connaissance scientifique se construit sur des échelles de temps longues, souvent sur des générations. Il a par exemple fallu plusieurs siècles, de Galilée à Einstein, en passant par Kepler et Newton notamment, pour comprendre la gravitation et le mouvement des planètes. Dans plusieurs siècles, s'il y a encore des scientifiques, la compréhension des lois de la nature sera certainement plus précise. Faire une avancée scientifique majeure est une tâche ardue et souvent collective. Dans mon domaine, l’astrophysique, les dernières avancées majeures sont la plupart le fruit de travaux sur des dizaines d’années par de grands collectifs de scientifiques. On pourrait citer par exemple la découverte des ondes gravitationnelles ou encore les premières images de trous noirs.

Usage du mot théorie

Souvent, les médias présentent des découvertes comme des moments “Eurêka !”, avec une seule personne qui aurait un éclair de génie. Marie Curie et Albert Einstein étaient certainement des scientifiques géniaux, mais qui ont dû travailler dur pour se forger un socle de connaissances très robuste avant de proposer des théories révolutionnaires. Pour qu’une théorie scientifique soit très solide, elle doit pouvoir expliquer de manière structurée des observations et permettre des prédictions vérifiables. L’usage commun, dans la vie de tous les jours, du mot théorie, souvent opposé à la pratique, entraîne fréquemment une incompréhension de la connaissance scientifique. Par exemple, si on vous dit que la théorie de la gravitation n’est qu’une théorie, vous pourrez répondre qu’il est très difficile pour un humain de sauter au-dessus de la tour Eiffel sans élan, en théorie… comme en pratique.

Consensus scientifique

Plus sérieusement, l’incompréhension par de nombreuses personnes de la construction de la connaissance scientifique est un véritable souci. Quand plus de 200 scientifiques du Giec écrivent un rapport portant sur plus de 10 000 travaux, en tant que scientifique non-expert du domaine, je lis le rapport pour m’informer. En aucun cas je n’irai remettre en cause les faits établis par les spécialistes. Non pas parce que c’est une doxa1, mais parce-que c’est un consensus scientifique et que je n’ai pas les compétences pour le remettre en cause. C’est la même chose si je dois me faire opérer : je ne vais pas expliquer au chirurgien comment le faire, je n’en ai pas les compétences (et je tiens à la vie).

Malheureusement, des médias et des citoyens, sans connaissance de la démarche scientifique, remettent parfois en cause ces faits. Cette défiance envers les scientifiques est problématique en vue des défis de notre société.

Il est important que les scientifiques regagnent la confiance de tout le monde, et notamment de nos élus. Cela passe par une meilleure connaissance de la démarche scientifique. Pour cela, un effort commun est nécessaire. Il faut plus d’endroits comme l’Espace des sciences à Rennes ! Il faut que tous les acteurs, des scientifiques aux journalistes, prennent le temps d’expliquer comment la science s’est construite, pas juste montrer le résultat final. Essayons de passer d’une société de communication à une société d’information. La société fonctionnera alors certainement bien mieux.

1. Ensemble des opinions reçues sans discussion, comme évidentes, dans une société.

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