Vous avez dit recherche fondamentale ?

Le physicien Alain Aspect est cette année lauréat du prix Nobel de Physique, en compagnie de l’américain John Clauser et de l’autrichien Anton Zeilinger pour “des expériences avec des photons intriqués, qui établissent la violation des inégalités de Bell et ouvrent la voie à la science de l’information quantique”. En bref, il s’agit de produire des paires de photons, ces grains de lumière, partant dans deux directions opposées et d’effectuer une même mesure sur chacun d’eux une fois qu’ils sont assez éloignés pour ne plus pouvoir communiquer durant le processus de mesure. L’observation dans ces expériences de résultats de mesure toujours opposés, quelle que soit la mesure effectuée, a permis de clore un débat initié par les pères de la mécanique quantique qui a opposé notamment Albert Einstein et Niels Bohr. Plutôt que de revenir une fois de plus sur l’aspect fascinant et intrigant de cette expérience, je préfère partager avec vous quelques réflexions.

Des expériences pionnières

Tout d’abord, avec ce tour de force expérimental, Alain Aspect a non seulement clos un débat entre physiciens, mais aussi réalisé un dispositif permettant de produire des photons “uniques”. Si l’on peut en effet facilement réduire l’intensité d’un faisceau lumineux pour que les grains de lumière qui le composent soient de plus en plus espacés, il n’est pas possible de savoir quand un photon est présent ou pas. En revanche, en détectant l’un des deux photons jumeaux, on est assuré de la présence du second. Avec cette source, unique en son genre en 1980, Alain Aspect a pu réaliser des expériences pionnières sur la dualité onde/corpuscule de la lumière. Ces expériences, considérées auparavant comme des situations abstraites destinées à stimuler l'imagination, sont alors devenues des réalités concrètes, et cela grâce à l'existence d'un dispositif expérimental totalement nouveau.

Information quantique

Or, comme le souligne le prix Nobel, ce n’est pas tout ! Ce travail a ouvert la voie à l’information quantique.  Si l’on parle beaucoup de la possibilité future de réaliser un ordinateur quantique, les applications pratiques de ce domaine sont déjà bien concrètes, notamment avec la cryptographie quantique qui permet de partager un secret à distance avec l’assurance que personne ne peut l’intercepter. C’est une fois de plus un exemple que la qualification de travaux comme “fondamentaux” ou “appliqués” n’a aucun sens dans l’absolu et surtout que des travaux qualifiés de fondamentaux et réservés à des spécialistes pendant des années peuvent devenir la source d’applications.

Ce qu’Alain Aspect a accompli, c’est ouvrir de nouvelles voies, pour des études fondamentales tout comme pour les applications. Pour cela il a pris le risque de s’aventurer dans un nouveau monde, le monde quantique, en étant prêt aux surprises. Ce qu’il a mené c’est une recherche exploratoire, par opposition à une recherche incrémentale qui revient sur ce qui a déjà été effectué pour faire mieux.

Ces deux facettes, explorer d’une part et améliorer et consolider d’autre part, sont complémentaires et toutes deux indispensables. Mais dans notre monde actuel obnubilé par la rentabilité à court terme et l’obsession de l’innovation et des applications immédiates, c’est la recherche incrémentale qui a la préférence des décideurs et financeurs, au détriment de l’exploration, par trop délaissée.

Profitons donc de l’exemple de ce prix Nobel pour retrouver les frissons et les joies de l’exploration en science !