Reconsidérer « l’horreur scientifique » et les collections d’anatomie

Carte blanche

N° 429 - Publié le 13 mai 2025
musée de médecine Paris
John Kellerman / Alamy
Juliette Cazes
Carte blanche
Juliette Cazes
Chercheuse indépendante en thanatologie et autrice

Magazine

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L’espace muséal est propice à l’expression de nombreux sentiments, qu’ils soient positifs ou négatifs. Parmi la multitude d’arts existants, les arts sanitaires se distinguent par les émotions parfois négatives qu’ils provoquent chez le public. Bien souvent pointées comme des « musées des horreurs », ces collections ont tout à gagner à être exposées et contextualisées. 

Des collections riches 


Instruments, modèles anatomiques, cires, papier mâché, croquis, moulages et restes humains médicalisés, tant d’éléments de collection qui ont des statuts juridiques variés, peuvent être source de rejet de la part d’un public non initié. Pourtant, ces collections, fragiles, souvent majeures pour la bonne compréhension de l’évolution du monde médical et scientifique, méritent un travail en amont d’une exposition, afin de reconsidérer la définition de « l’horreur ». De plus, l’histoire de la médecine montre toute l’étendue de son rapport à l’art, en particulier dès la Renaissance. Cet art, si instructif, ne saurait être décontextualisé de sa réalité scientifique, si « laide » puisse-t-elle paraître aux yeux des visiteurs. Ainsi, la dimension artistique et technique trouve un écho de plus en plus fort au sein d’amateurs de collections muséales atypiques. Ce public, féru de visites liées à l’histoire de la médecine, réussit à transmettre et à faire vivre ce patrimoine grâce aux outils web tels que les réseaux sociaux1

Renouer avec la mort et la souffrance 


Force est de constater que les thématiques abordées au sein des collections d’anatomie et de médecine, provoquent un inconfort pour de nombreuses personnes pouvant, à raison, craindre ces visites. Pour autant, l’exploration de ces thématiques nous renvoie à une réalité quotidienne occultée, celle de la maladie, la souffrance, l'agonie et la mort. Un programme qui, sur le papier, n’est pas source d’évasion, mais s’avère nécessaire dans notre société. En remettant en avant les affres du passé, les méthodes si barbares à nos yeux que l’on peut noter dans l’histoire médicale, on crée un lien important avec l’actualité : constater le chemin qui a été parcouru pour soigner, les étapes et les méthodes mises en place et les régressions que l’on peut noter dans notre propre système. Ces dernières sont des points d’alerte pour mieux cerner ce qui, in fine, peut être pris comme un recul alarmant de la santé des habitants d’un pays. 

Les collections d’anatomie et de médecine permettent de renouer avec ces thématiques, de comprendre l’histoire de diverses disciplines, et ainsi de s’interroger sur le parcours des malades et des soignants au gré de l’histoire. Ces questions ne se font pas sans aborder la souffrance et la mort, des points qui peuvent nous interroger au regard de nos propres statistiques. Par exemple, la mortalité infantile est en hausse en France depuis 2015 selon l’Insee2. Un enjeu majeur de l’histoire de la médecine des siècles durant pour lesquels l’obstétrique, la gynécologie ou encore la chirurgie n’ont cessé d’évoluer. Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres pour lesquels l’apport muséal concernant l’histoire médicale, souvent si mal jugée, s’avère nécessaire afin de toucher et interroger le grand public. 

Valoriser ces collections et changer le regard qu’on leur porte grâce aux musées permet ainsi de dédramatiser ces sujets difficiles, les mettre au sein d’un monde où ils sont devenus tabous, mais aussi rappeler grâce à l’histoire et aux sciences, que rien n’est acquis, que tout est en changement permanent et ne pas oublier le chemin parcouru pour permettre un avenir meilleur dans un monde où les sciences sont défiées.

1. Cazes Juliette, Musée d'anatomie et de médecine, une renaissance numérique grâce aux passionnés (Mêtis, annales n°4, nov. 2024).
2. Institut national de la statistique et des études économiques.

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