Nos cultures ont de l’avenir

N° 276 - Publié le 17 juillet 2014
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Pépins de pomme, feuilles de légumes, paille de lin... ces coproduits issus de l’agriculture sont sources d’innovation.

Productrice de gaz à effet de serre, grande consommatrice d’eau et d’énergie, l’agriculture ne donne pas toujours dans le vert... Ajoutez à cela un contexte économique actuel morose, les réflexions sur la protection de l’environnement, la santé et la sécurité des consommateurs et voici réunies les conditions idéales – soyons positifs ! – pour trouver des solutions et stimuler des projets innovants, travailler sur une nouvelle façon de penser l’agriculture, valoriser autrement les produits qui en sont issus.

Biocarburants, biomatériaux et autres biomolécules sont sur le marché depuis plusieurs années. Technologiquement pointus, ces produits véhiculent en plus une image “verte” de l’innovation qui séduit souvent les consommateurs. En Bretagne est née l’idée de surfer sur cette vague, en s’intéressant à des produits qui sont actuellement jetés : les coproduits de légumes, de céréales et de fruits, pour les valoriser dans les secteurs de la nutraceutique et de la cosmétologie.

“Attention aux faux verdissements”

Chargé de projet chez CBB Développement, centre de transfert de technologies rennais, Patrice Morel est coauteur (avec BBV, Saint-Pol-de-Léon) de cette étude sur l’identification du gisement breton de coproduits végétaux, réalisée fin 2008 pour le pôle de compétitivité Valorial. Ces travaux se poursuivent aujourd’hui (lire p.14).

« Mais attention aux faux verdissements, prévient Christophe Baley, chercheur au Laboratoire d’ingénierie des matériaux de Bretagne (LimatB) de l’Université de Bretagne sud. Prenez les vêtements en bambou, par exemple. Ils ne sont “écologiquement corrects” qu’au premier abord. Car le bambou doit subir des traitements chimiques polluants avant d’être transformé en fibres utilisables par l’industrie textile... Et puis la terre ne doit-elle pas continuer à nous nourrir ? » La production de biocarburants à grande échelle est aussi directement visée par cette question, surtout sur fond d’augmentation de la population mondiale.

Dans ce contexte, l’innovation dans l’utilisation des produits agricoles doit être imaginée globalement, dans l’environnement économique et social dans lequel elle va naître et évoluer. C’est dans cet esprit que, dans ses travaux sur les matériaux biocomposites, le chercheur lorientais calcule l’impact global de leur fabrication sur l’environnement. Les espèces riches en fibres sur lesquelles il travaille sont locales : « Le lin, le chanvre et même l’ortie ont toujours été cultivés en France, et sont donc parfaitement  adaptés aux conditions climatiques de  notre pays. » En clair, ces plantes ne sont pas trop gourmandes en eau, contrairement au maïs, importé à l’origine d’Amérique du Sud.

Penser à l’échelle mondiale et agir localement, c’est aussi ce qui anime Yvon Le Caro, enseignant-chercheur en géographie sociale à l’Université Rennes 2. « Il est important d’avoir une vision mondiale quand on parle de circulation et d’occupation spatiale des produits agricoles. Produire du colza de façon intensive au détriment d’autres cultures pour faire des biocarburants est une chose. En produire à l’échelle d’une exploitation pour faire tourner les tracteurs en est une autre. » Et de citer la démarche pionnière de Coopédom, cette coopérative de Domagné (35) spécialisée dans la déshydratation de la luzerne, une opération qui consomme beaucoup d’énergie. Depuis trois ans, elle demande aux agriculteurs de planter une partie de leurs terres en miscanthus – une plante utilisée comme combustible –, afin de diminuer ses achats en charbon.

Changer les mentalités

Changer de mentalité, cela prend du temps. « Les coproduits de végétaux que les agriculteurs considèrent aujourd’hui comme des déchets sont pour nous une source de matière première précieuse », souligne Patrice Morel. Même son de cloche du côté des biomatériaux : « Plasturgistes et agriculteurs n’emploient pas le même vocabulaire pour qualifier les fibres végétales. Ils doivent se rencontrer pour apprendre à parler le même langage, explique Christophe Baley. Lui, qui disait en 2001 dans les colonnes de Sciences Ouest(1) que le végétal aurait conquis le monde industriel d’ici 5 ans, est toujours convaincu : « J’avais été un peu optimiste sur les dates. Mais aujourd’hui nous pouvons dire que nous avons fait plus de la moitié du chemin. » Et c’est peut-être le secteur de l’automobile qui montrera la voie (lire p.16).

Redonnons de la valeur aux produits

Produire assez en permettant aux agriculteurs de vivre correctement, aujourd’hui, cela s’appelle de l’innovation. Chercheur en géographie sociale, Yvon Le Caro argumente :« Je pense qu’il faut redonner de la valeur aux matières premières. Prenez le prix du blé, par exemple. Il est vendu 10 centimes le kilo par les agriculteurs, et 400 centimes le kilo sous forme de pain par les boulangers. Quand c’est possible, l’idée d’inciter les agriculteurs à transformer leur blé eux-mêmes est une piste pour améliorer leurs revenus. Par la même occasion, cela leur permet de renouer le contact avec les consommateurs. »

Car la valeur des matières premières n’est pas que marchande. Elle est aussi symbolique. « Aujourd’hui, les citoyens sont pour la plupart des citadins. Ils sont déconnectés de la production : ils ne consommeront bientôt  plus que des kilocalories ! » L’idée d’une agriculture participative fait son chemin. Il s’agit pour des citoyens d’investir financièrement dans une exploitation ou de participer directement à la vie de la ferme. 

Yvon Le Caro
Tél. 02 99 14 18 30
yvon.lecaro@univ-rennes2.fr
Nathalie Blanc

(1) Lire “Le lin et ses fibres. Cultiver des voitures” dans Sciences Ouest n°182 - novembre 2001 sur www.espace-sciences.org/magazine.

Christophe Baley,Tél. 02 97 87 45 53
christophe.baley [at] univ-ubs.fr (christophe[dot]baley[at]univ-ubs[dot]fr)

Patrice Morel, Tél. 02 99 38 33 30
patrice.morel [at] cbb-developpement.com (patrice[dot]morel[at]cbb-developpement[dot]com)

Yvon Le Caro,Tél. 02 99 14 18 30
yvon.lecaro [at] univ-rennes2.fr (yvon[dot]lecaro[at]univ-rennes2[dot]fr)

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