Au cœur de l’incendie de 1720

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N° 385 - Publié le 7 janvier 2021
PIERRE TRESSOS / PHOTOTHEQUE MUSÉE DE BRETAGNE
Détail du Voeu de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle de Nicolas Le Roy (18e siècle), d'après le dessin de Jean-François Huguet. Ce tableau est exposé à la basilique Saint-Sauveur, à Rennes.

Rennes célèbre les 300 ans de l’incendie qui l'a traumatisée et transformée. Une grande enquête coordonnée par deux historiens apporte des éclairages inédits.

On marche en plein chaos. Dans les rues bondées de débris et de personnes affolées, chacun court ou transporte ses meubles, ses vêtements, ses paquets jetés par les fenêtres. Les maisons à colombage flambent des deux côtés de la rue Tristin, derrière l’actuelle mairie de Rennes. Les flammes des poutres en chêne percent les greniers, remplis de fagots pour l’hiver, puis les toits explosent. Les étincelles jaillissent et irradient les alentours.
Au matin du 23 décembre 1720, le feu brûle depuis minuit et douze maisons ont déjà disparu. Une deuxième rue s'embrase et disparaît, puis le feu dévore la place devant l’église Saint-Sauveur. Celle-ci flambe avec tout ce que les habitants y avaient entreposé, pensant que l’édifice serait épargné. Devant l'avancée de l'incendie, chacun déménage plusieurs fois ses affaires. Le parlement de Bretagne, touché par les flammes, est sauvé de justesse le jour de Noël, « grâce à la destruction des maisons qui le jouxtent et aux efforts surhumains des combattants, qui ont monté de grandes quantités d’eau pour arroser sans cesse le toit », écrit l'historien australien David Garrioch.

L’extraordinaire panique

Ce spécialiste de l'histoire des incendies est l’un des experts auxquels Gauthier Aubert1 et Georges Provost2, historiens à l’Université Rennes 2, ont fait appel pour l’enquête Rennes 1720, l’incendie, publiée aux Pur3. « David Garrioch a été frappé par l’extraordinaire panique qui a saisi les Rennais et a nui à l’organisation des secours, explique Gauthier Aubert. Il a mis en évidence que beaucoup de personnes ont d’abord pensé à sauver leurs biens. » Mais à partir du troisième jour, les habitants luttent ensemble contre le feu, « les parlementaires, l’évêque et les officiers de la Ville aux côtés de l’intendant, les religieux et les religieuses coude à coude avec les citadins et les soldats, hommes et femmes formant des chaînes pour apporter de l’eau, les ouvriers du bâtiment découvrant ou démolissant des maisons à l’avant du feu4. » Outre une description très réaliste, David Garrioch met l'événement en perspective. « Il a montré que l'incendie de 1720 est le deuxième plus gros incendie du 18e siècle, après celui de Copenhague, poursuit Gauthier Aubert. Nous n'en avions pas idée ! Cet incendie a été un traumatisme majeur. »

L’enquête a démarré il y a trois ans, en associant plusieurs institutions, dont l’université, les archives municipales et départementales, le musée des beaux-arts et l'Inventaire5, qui est un service de la Région, mais aussi le musée de Bretagne6. « Ce livre a bénéficié de la dynamique des recherches historiques et patrimoniales à Rennes. » La reconstruction de la ville après 1720 est connue. Mais l'incendie lui-même n'était pas étudié. Les spécialistes se sont appuyés sur la vingtaine de témoignages de l’époque et sont tombés sur une mine d’or jusqu'alors inexploitée : les 1 300 dossiers des sinistrés de l'incendie, découverts aux archives d’Ille-et-Vilaine.

Dans une liasse de documents classés rue par rue, les victimes racontent le drame. Un homme pleure son fils de 28 ans, mort d’épuisement dans le combat contre le feu. Une couturière a perdu tous ses biens âprement gagnés. Les plus riches déplorent la perte de tableaux, de bibliothèques parfois très anciennes, de bijoux, de violons, d'instruments de mathématiques, de machines de physique, de faïences de Chine ou d’autres raretés. Sans compter les nombreux vols...

La solidarité se manifeste

« Cet incendie est le cumul d’une série de malchances, explique Georges Provost. Il survient un dimanche soir, jour de relâchement, en pleine nuit et en hiver. Du bois de chauffage est entreposé dans les greniers. La période est sèche, les puits sont au plus bas. Et il souffle ces jours-là un vent fort et tournant. » Le feu a démarré chez le menuisier Henri Boutrouelle. Ivre, il aurait laissé tomber une chandelle sur des copeaux de bois. Mais cet acte est peut-être lié à un féminicide7. Cinq nuits et cinq jours plus tard, les dégâts sont considérables : 32 rues ont disparu, leurs 945 bâtiments représentaient environ 40 % de la ville. Il y a peu de victimes, mais environ
8 000 personnes sont à la rue. La solidarité se manifeste, « depuis les amis qui viennent à la rescousse jusqu’au roi, qui promet de ne pas laisser Rennes à son triste sort. » Le 28 décembre, l’intendant demande aux paroisses des environs « du pain et de la viande pour nourrir la population de la ville. »

L’impulsion donnée à la ville

« C’est une calamité pour Rennes, résume Georges Provost. Mais la ville a reconstruit son cœur de manière moderne, représentative de l’idéal urbain qui se forge à partir de la Renaissance. »
L'urbanisme s'aère, rythmé par les actuelles places de la mairie et du parlement. « C’est l'occasion rêvée pour la ville, malgré le prix à payer, de se donner une allure de capitale provinciale. » L'enquête révèle même que « l'impulsion donnée à la ville en 1721 a inspiré les travaux des urbanistes, des architectes et édiles jusqu'aux années 1860 », complète Gauthier Aubert. La Vilaine est ainsi canalisée en 1840 devant le musée des beaux-arts et des quartiers, épargnés par le feu, sont rénovés.
À travers plusieurs approches, incluant la perception religieuse de l'événement, des données inédites et une belle iconographie de peintures et de plans d'époques, ce livre de référence dépasse son objectif initial d'être une synthèse de l'événement. Il ouvre des pistes de recherches sur l’histoire sociale et économique de la reconstruction. Et sur celle de l’incendie lui-même, ce mythe refondateur de la capitale bretonne.

SALOME REMAUD ET NICOLAS GUILLAS

1. Historien des conflits politiques et sociétés urbaines au 17e et 18e siècles.
2. Chercheur en histoire religieuse et culturelle des 17e et 18e siècles.
3. Rennes 1720, l’incendie, Gauthier Aubert, Georges Provost (dir.), Presses universitaires de Rennes, 2020.
4. David Garrioch, p. 32.
5. Inventaire du patrimoine culturel en Bretagne.
6. La Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine a également participé à l’enquête.
7. Lire le chapitre « L’incendie de Rennes, de coupables en complots », par Gauthier Aubert, p 138-153.

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