Et l’humain dans tout ça?

N° 342 - Publié le 22 juin 2016
Des technologies développées avec les usagers.

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Intégrée au projet Scoop sur la sécurité, la psychologie sociale repère les freins à l’utilisation de ce nouvel outil.

Quoi de plus imprédictible que le comportement humain ? En fonction des études, les chiffres varient, mais un constat demeure : entre 60 % (étude de IBM Strategy & Change(1)) et 95 % (travaux du professeur de marketing Jean-Claude Andréani(2)) des projets n’atteignent pas leurs objectifs de départ. Ceci serait dû en bonne partie à la non-prise en compte des facteurs humains. Travailler sur l’acceptabilité, c’est le quotidien de Stéphanie Bordel chercheuse en psychologie sociale au Cerema(3), établissement public qui traite notamment des questions d’infrastructure et de transport. Il y a plus d’un an, elle a pris part au projet SCOOP@F sur la mise en place de bornes de bord de route communicant avec les voitures (lire p. 10 à 12). « Étudier l’acceptabilité ce n’est pas faire dire aux usagers “j’aime” ou “je n’aime pas”, explique-t-elle. Notre but est d’étudier le rapport qu’ils entretiennent avec un objet technologique et, à terme, d’arriver à prévoir leur comportement. Plus exactement, nous cherchons à identifier les freins et les leviers à l’utilisation d’une technologie. »

Prendre en compte la pression sociale

Les usagers peuvent évaluer positivement une technologie pour son caractère prosécurité routière, sans pour autant vouloir eux-mêmes l’utiliser, au regard de l’image négative qu’elle pourrait renvoyer. « J’ai rencontré ce cas lorsque nous avons travaillé sur des systèmes embarqués d’aide à la conduite. Les gens les trouvaient très bien, mais pour les autres ! Ils estimaient ne pas en avoir besoin. D’ailleurs, les hommes y étaient favorables, pour les femmes ! » Dans un autre ordre d’idée, des usagers peuvent vouloir utiliser un dispositif mais ne pas pouvoir. La pression sociale peut, par exemple, inciter un conducteur à ne pas respecter des conseils de vitesse qui lui sont fournis par un système d’aide à la conduite si une file de voitures se forme derrière lui. Dans le projet SCOOP@F, Stéphanie Bordel étudie l’acceptabilité du point de vue des gestionnaires de voirie.

L’analyse du comportement est réalisée à plusieurs niveaux. Le rapport personnel de l’individu à la technologie (ergonomie de l’appareil, nature de l’interface homme- machine) ; le rapport avec les autres (que vont-ils en penser ? ; qu’est-ce que cela va engendrer dans mes rapports avec autrui) ? ; le rapport organisationnel (qu’est-ce que cette technologie engendre comme changement dans mon métier ?) ; et enfin le niveau idéologique (est-ce que c’est toujours mon métier ?).

Le rapport au métier

Les premières analyses menées dans le cadre du projet SCOOP@F en Bretagne par Mehdi Chahir(4) ont montré que les agents d’exploitation qui interviennent sur les routes s’y retrouvent : le système doit permettre d’augmenter la sécurité des automobilistes, ce qui participe, de leur point de vue,  à leur métier. Autre ressenti analysé, la question de la géolocalisation et de la protection des données personnelles. Cette problématique est sensible chez les agents, mais grâce aux travaux de Mehdi, elle a pu être anticipée et solutionnée. De manière plus globale, l’utilisation de SCOOP@F risque de changer la manière de travailler, les circuits d’information, les rapports entre les agents... Mehdi Chahir devra anticiper ces changements, pour faire en sorte que l’outil SCOOP@F s’insère dans les pratiques des agents sans ajouter de complexité. C’est pourquoi la direction de la Diro(5) a souhaité associer ses personnels dans une logique de coconstruction. Les agents seront donc sollicités tout au long du projet.

Nathalie Blanc

(1) Jørgensen, H.H., Owen, L., Neus, A. (2008). Making Change Work (IBM Strategy and Change practice).

(2) Andréani, J.-C. (2001). Marketing du produit nouveau : 95 % des produits nouveaux échouent. Les managers sont en cause, les études de marché aussi. Revue Française du Marketing, 182, 5-12.

(3) Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement.

(4) Pour son stage de Master 2 “Ingénierie psychosociale et cognitive” à l’Université Rennes 2. Mehdi Chahir poursuit ses travaux à l’échelle nationale dans le cadre d’une thèse, codirigée par Stéphanie Bordel et Alain Somat.

(5) Direction interdépartementale des routes Ouest.

Stéphanie Bordel
stephanie.bordel@cerema.fr

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