« Ne rien faire n’est pas une option »

Carte blanche

N° 390 - Publié le 1 août 2021
pollution industrielles
Jean Jouzel
Carte blanche
Jean Jouzel
Climatologue et membre de l’Académie des sciences

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Dans ces quelques lignes, je souhaite redire l’urgence de la lutte contre le réchauffement  climatique et ma crainte qu’à la sortie de la pandémie nous ne repartions pas du bon pied. Au cours des dernières décennies, notre climat a globalement évolué comme le prévoyaient les premières simulations réalisées à partir des années 80 et dont les rapports successifs du GIEC1 rendent compte. Ceci vaut aussi bien pour le rythme du réchauffement proche, en moyenne de deux dixièmes de degré par décennie, que pour l’amplification annoncée de ce réchauffement dans les hautes latitudes de l’hémisphère nord, pour l’élévation du niveau de la mer2 ou pour l’évolution aujourd’hui perceptible de certains événements extrêmes3 plus intenses, et/ou plus fréquents, au moins régionalement. Cette anticipation tout à fait correcte de l’évolution du climat nous invite à prendre au sérieux ce que notre communauté scientifique envisage d’ici une trentaine d’années et au-delà.

Une année charnière

Dès 2007, le GIEC mettait en avant 2020 comme étant une année charnière à partir de laquelle les émissions de gaz à effet de serre devraient commencer à diminuer si l’on voulait qu’à long terme le réchauffement lié aux activités humaines soit limité à 2 °C par rapport aux conditions préindustrielles. En 2015, l’Accord de Paris inscrit aussi l’objectif plus ambitieux d’un réchauffement limité à 1,5 °C et en 2018, les scientifiques du GIEC nous disent que chaque demi-degré compte. Et que cette ambition est justifiée si l’on veut que les jeunes d’aujourd’hui puissent, sans trop de difficultés, s’adapter au climat qu’ils connaîtront d’ici la fin du siècle. Ils soulignent qu’il est alors quasiment indispensable d’atteindre la neutralité carbone dès 2050.

L'après 2050

Le réchauffement dépend peu des quantités de gaz à effet de serre que nous émettrons d’ici là ; en France il ne devrait guère excéder 1 °C, en moyenne, par rapport à la décennie 2010. Les véritables difficultés sont pour l’après 2050. Si rien de sérieux n’était fait d’ici là pour diminuer nos émissions, nous serions sur une trajectoire qui conduirait à des réchauffements moyens de 4 à 5 °C d’ici 2100 avec des impacts extrêmement importants : élévation du niveau de la mer, acidification de l’océan, extrêmes climatiques encore plus intenses ou plus fréquents, difficultés d’accès à l’eau, perte de biodiversité, problèmes de pollution, de sécurité alimentaire et de santé, mouvements de populations... Pris dans leur ensemble, ils se traduiront par un risque d’accroissement des inégalités entre ceux qui pourront y faire face et ceux qui ne le pourront pas, y compris dans les pays développés.

Manifestement, ne rien faire n’est pas une option. Toutefois, les engagements de réduction des émissions pris dans le cadre de l’Accord de Paris sont beaucoup trop timides et nous entraînent, s’ils ne sont pas suffisamment revus à la hausse, vers un réchauffement supérieur à 3 °C à la fin du siècle : il faudrait, d’ici 2030, les multiplier par 3 pour avoir des chances de rester à long terme en-dessous de 2 °C, par 5 pour 1,5 °C. Certes, 130 pays ont d’ores et déjà affiché un objectif de neutralité carbone d’ici 2050 mais c’est maintenant qu’il faut agir pour éviter des conditions climatiques auxquelles il serait difficile de s’adapter d’ici une cinquantaine d’années, sinon impossible dans certaines régions. Or, après une année 2020 effectivement marquée par une diminution des émissions liée à la pandémie, il est assez clair que nous sommes revenus dans le monde d’avant, avec un nouveau record d’émissions à craindre dès 2021. Les recommandations formulées par les 150 citoyens de la convention pour le climat auraient pu mettre notre pays sur une trajectoire vertueuse mais force est de constater qu’elles ne sont pas en voie d’être sérieusement prises en compte. C’est extrêmement regrettable.

1. Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat.

2. Désormais proche de 4 mm par an, le double de ce qu’il était au 20e siècle.

3. Sécheresses, inondations, canicules, cyclones.

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