L’énergie folle des quasars

Carte blanche

N° 396 - Publié le 1 février 2022
Quasar
NASA
Françoise Combes
Carte blanche
Françoise Combes
Astrophysicienne et professeure au Collège de France, médaille d’or du CNRS 2020

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Les quasars sont les astres les plus lumineux1 de l’Univers. Situés dans les noyaux de galaxies, ils doivent leur énergie à la chute de la matière sur des trous noirs supermassifs2. Le premier a été détecté en 1963. Après la Seconde Guerre mondiale, grâce aux radars et radiotélescopes fabriqués à partir des radars militaires, les astronomes ont observé dans le ciel des sources radios, et nombre d’entre elles étaient très puissantes. En pointant un télescope sur la position de la source radio, ils ont vu une étoile dont le spectre optique ne ressemblait à rien de connu. L’objet a été appelé « quasi star », désignant une étoile qui n’en est pas vraiment une. Et quasi star est devenu quasar.

Émission de jets radios

Plusieurs millions de quasars sont connus aujourd’hui. Environ 10 % de ces noyaux actifs émettent des jets radios, qui ont des contreparties dans toutes les longueurs d’onde, y compris optiques. Ce jet rectiligne se décompose parfois en petits grumeaux. Ils donnent l’impression que le quasar rejette de la matière, un peu comme des signaux de fumée, par petites bouffées. S’il est observé tous les mois, on s’aperçoit que les grumeaux bougent. Leur vitesse a ainsi été mesurée dans les années 1990, et… surprise ! Les jets semblent être dix fois plus rapides que la lumière (vitesse notée c). Il s’agit d’un effet relativiste qui survient lorsque le jet se dirige vers l’observateur à une vitesse presque égale à c, dans une direction proche de la ligne de visée.

Mais pourquoi le trou noir rejette-t-il de la matière ? À cause du phénomène appelé « limite d’Eddington ». Quand la matière tombe sur le trou noir, les forces de viscosité vont intensément la chauffer et la faire rayonner3. Cette luminosité crée une pression de radiation. Lorsque la luminosité du quasar est très importante, cette pression est si forte qu’elle compense la gravité et empêche le gaz de tomber plus près du trou noir. Dominé par la pression de rayonnement, le gaz ne tombe plus ; un effet similaire à un vent le repousse.

Filaments cosmiques

Le trou noir, qui représente une tête d’épingle au centre de chaque galaxie, a beaucoup plus d’influence sur elle que ce que l’on pourrait croire. Son rayon d’action gravitationnel est tout petit. En revanche, un quasar émet une énergie folle… bien plus que toutes les étoiles de la galaxie réunies ! Cette énergie considérable chauffe et éjecte beaucoup de masse. Elle est telle qu’elle pourrait même défaire toute la galaxie si toute l’énergie déployée y était stoppée. Comme elle ne l’est pas, elle part dans les directions perpendiculaires, et seule une petite partie de cette énergie chauffe et repousse la galaxie. Le trou noir se nourrit du gaz des filaments cosmiques lorsqu’une galaxie croît en masse et forme des étoiles par accrétion de ce gaz. Trou noir et galaxie ont en quelque sorte la même alimentation.

Lorsque ce trou noir est si actif qu’il éjecte de la masse, c’est comme s’il était obligé de rejeter sa nourriture, ne pouvant pas avaler au-delà d’une certaine quantité. Cette éjection de masse chauffe et repousse la matière, empêchant la galaxie de former des étoiles. Ainsi est régulée la formation d’étoiles, mais aussi la masse du bulbe de la galaxie. En effet, il existe une loi de proportionnalité entre la masse du trou noir central d’une galaxie et celle du bulbe de sa galaxie hôte : ils croissent en même temps lorsqu’il y a accrétion de gaz. Il n’y a aucune interaction gravitationnelle entre le trou noir et la galaxie, mais l’énergie du premier est telle qu’elle influence considérablement la seconde. On peut véritablement parler de symbiose entre les deux.

1. Pouvant être mille fois plus lumineux que l’ensemble de la galaxie réunie autour d'eux.
2. Pesant entre des millions et des milliards de fois la masse du Soleil.
3. En UV surtout, mais aussi en rayons X et gamma.

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