Littoral : le paradoxe du prix de l’immobilier

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N° 408 - Publié le 29 mars 2023
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Malgré l’exposition aux risques côtiers, le prix des logements de bord de mer ne baisse pas. Un paradoxe aux conséquences non-négligeables.

Jolie demeure de caractère avec vue imprenable sur la baie de Perros-Guirec. 1 089 900 euros.

Confortable propriété à deux pas de la plage de Gâvres. 693 500 euros.

Carnac : ravissante maison avec jardin où vous pourrez pleinement profiter du bruit des vagues. 1 248 000 euros.

Le point commun ? Ces habitations sont toutes exposées aux risques côtiers que sont l’érosion et la submersion. « Logiquement, cela devrait avoir un effet sur leur prix mais c’est loin d’être le cas », souligne la géographe Eugénie Cazaux, spécialiste des risques côtiers, qui a décrypté ce paradoxe dans sa thèse1.

Désir de rivage

Selon la composition des falaises, la topographie du territoire ou encore l’urbanisation du bord de mer, toutes les côtes ne sont pas exposées aux mêmes risques ni au même degré. Mais partout, les logements s’y arrachent à prix d’or. « Y compris des événements comme la tempête Xynthia, en 2010, ne freinent pas les acheteurs », remarque Eugénie Cazaux, qui a confronté des données de transactions immobilières à celles d’exposition aux risques côtiers sur tout le littoral métropolitain avant de s’entretenir avec des professionnels de l’immobilier et des acteurs publics. Elle explique en partie ce phénomène par un désir de rivage. « La mer est un objet ambivalent : plus on en est proche, plus on bénéficie de ses atouts et plus on est exposé au risque. »

Sur le littoral, le fort décalage entre l’offre et la demande implique que même si un potentiel acquéreur renonce à un bien en raison de son exposition aux risques, d’autres seront toujours prêts à l’acheter au même prix. D’autant plus que, selon la géographe, la grande confiance en l’assurance et dans l’intervention publique2 participe à une « mise à distance spatiale et temporelle du risque » sur le principe du “c’est pire ailleurs, ce sera pire dans bien longtemps”. Pourtant, certains acquéreurs ont bien conscience des risques quand ils achètent une maison amenée à disparaître d’ici quelques années. « On distingue trois types de profils pour ce genre de bien, décrit Eugénie Cazaux. Les retraités qui veulent passer la fin de leur vie en bord de mer, ceux qui achètent pour louer à la saison et ont déjà calculé le temps nécessaire pour rentabiliser l’achat, et enfin les très riches, qui peuvent se permettre ce genre d’investissement “coup de coeur”. »

Gentrification

La spéculation immobilière en bord de mer ne semble donc pas prête de s’arrêter, mais le phénomène n’est pas récent. Yves Lebahy, géographe près de Vannes, situe le tournant pour la Bretagne au début des années 2000, « avec une explosion du nombre de résidences secondaires qui a coïncidé avec la saturation du littoral méditerranéen ». Conséquence : une gentrification des littoraux, accompagnée d’une ségrégation sociale et générationnelle. « Ceux qui arrivent ont en majorité plus de 60 ans. Et j’ai vu des pêcheurs déménager à 30 km de la côte », souligne le chercheur, pour qui le prix de l’immobilier sur le littoral n’est que la partie émergée de l’iceberg et traduit un changement plus global. Celui du passage « d’une économie de production à une économie de villégiature ».

 

VIOLETTE VAULOUP

1. Soutenue fin 2022 à l’Université de Bretagne Occidentale.
2. Notamment au travers des politiques d’indemnisation des risques naturels.

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