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du magazine Sciences Ouest
Les camemberts, bries et bleus ont récemment fait couler beaucoup d’encre car ils seraient menacés de disparition. Derrière l’emballement médiatique, la réalité scientifique est plus nuancée.
Ces animaux singuliers représentent plus de 20 % des espèces de mammifères. Leurs particularités impressionnent les scientifiques, qui sont loin d’avoir percé tous leurs mystères.
L’été, lorsque le soleil disparaît et que le ciel s’assombrit, il n’est pas rare de voir des ombres furtives traverser la nuit en coup de vent. Aussi rapides que discrètes, elles frôlent l’obscurité et plongent dans le vide, à peine remarquées. Terrifiantes pour les uns, fascinantes pour les autres, les chauves-souris règnent sur le monde de la nuit. « 20 % des espèces de mammifères sont des chiroptères, c’est l’un des groupes les plus diversifiés au monde », rapporte Thomas Dubos, chargé de mission au GMB1. Avec plus de 1 400 espèces recensées, il s’agit d’ailleurs du deuxième ordre le plus important après les rongeurs.
Il n’est pas étonnant qu’une telle diversité induise une grande hétérogénéité des modes de vie et régimes alimentaires. Ainsi, certaines boivent du sang et d’autres mangent des fruits, il y en a des piscivores et d’autres qui se nourrissent de nectar. « Il existe même des plantes qui ne sont pollinisées que par des chauves-souris, comme l’agave bleu, à partir de laquelle on produit la tequila », illustre Éric Petit, directeur de recherche à l’Inrae2 de Rennes. En Europe, toutes les espèces sont insectivores, ce qui ne les empêche pas d’apprécier d’autres mets : « La Grande noctule est très friande de passereaux en migration », sourit le biologiste.
Que ce soit pour chasser des moustiques ou des araignées, au sol ou dans les airs, en plein vol ou à l’affut, si les chauves-souris sortent la nuit c’est parce qu’il s’agit « d’une niche écologique riche en insectes sans grande concurrence avec les oiseaux », explique Thomas Dubos. Les chiroptères sont d’ailleurs les seuls mammifères doués du vol actif. Leurs ailes sont des mains modifiées, aux doigts très allongés et reliés par une fine membrane, le patagium. Cette véritable cape rend possible un vol plus manœuvrable que celui des oiseaux. « Les chauves-souris atteignent 60 km/h sans difficultés, mais elles se déplacent aussi en marchant sur leurs pattes arrière et en s’aidant de la griffe du pouce qui surmonte chaque aile », précise Éric Petit.
De nombreuses idées reçues circulent sur les chiroptères. L’une d’elles voudrait qu’ils soient aveugles. Il n’en est rien. Mais dans l’obscurité, les chauves-souris se repèrent grâce à l’écholocation, un ingénieux système de sonar. « Comme certains cétacés, elles émettent des ultrasons dont l’écho leur permet de se localiser dans l’espace et de repérer des proies », souligne Éric Petit. Les scientifiques utilisent ainsi l’acoustique pour les étudier, par exemple en installant des récepteurs qui enregistrent ces signaux pour mesurer le taux d’activité et les espèces présentes dans une zone donnée.
Les chauves-souris sont connues pour atteindre des âges très avancés. Le record revient à « un Murin de Brandt bagué à au moins un an et recapturé 41 ans plus tard », raconte le biologiste, qui nuance toutefois : « Nous étudions cinq colonies de Grand Murin en Bretagne, certains individus ont 13 ou 14 ans mais la plupart vivent entre 5 et 10 ans, ce qui est déjà remarquable ». Car plus un mammifère est petit, moins il vit longtemps et plus il compense avec une reproduction importante. « Les chiroptères échappent à cette règle en adoptant les mêmes stratégies que les grands mammifères », ajoute Thomas Dubos.
© ÉRIC PETIT
Contrairement à ce que leur nom pourrait laisser penser, les chauves-souris n'ont aucun lien avec les rongeurs.
Comme eux, les chauves-souris n’ont qu’un seul petit par an. L’accouplement se produit à l’automne, mais le développement embryonnaire ne débute qu’au printemps, après l’hibernation. « Les femelles stockent le sperme et la fécondation a lieu à la sortie de l’hiver », explique Éric Petit. Les chauves-souriceaux naissent l’été et deviennent adultes en quatre à six semaines. Leur cycle de vie est marqué par des déménagements à répétition. En hiver, les chiroptères recherchent des gîtes hors de portée du gel, comme des caves ou des carrières, et des endroits plus chauds en été, comme les greniers. « Mais en 2022, les vagues de chaleur ont transformé ces derniers en fours et l’on a vu des colonies entières voler en plein jour pour échapper à la surchauffe », souffle Thomas Dubos. Certaines espèces parcourent quant à elles des milliers de kilomètres pour rejoindre leurs quartiers d’été, à l’image de la Pipistrelle de Nathusius, « une petite bête de quelques grammes qui traverse l’Europe », admire Éric Petit.
La chauve-souris a longtemps été considérée comme un animal diabolique. Son image se redore depuis quelques années mais la crise du Covid a ravivé les discussions sur les réservoirs de zoonoses, dont elle fait partie3. Pour Éric Petit, « cela nous en dit moins sur le fait qu’elle porte des maladies, comme plein d’animaux, que sur sa résistance ». Encore mal compris, son système immunitaire est en effet extrêmement performant.
Pourtant, malgré leurs incroyables capacités, de nombreuses menaces planent sur les chauves-souris. Dans les années 1950, la destruction du bocage et l’assèchement des zones humides4 ainsi que l’arrivée massive des pesticides ont réduit et contaminé la ressource alimentaire, entraînant un vif déclin des populations. Aujourd’hui, certaines espèces se rétablissent tant bien que mal tandis que d’autres continuent de chuter. En cause ? La destruction de gîtes liée aux rénovations du bâti ou encore les éoliennes. Ses rares prédateurs5 ne sont pas concernés même s'il peut y avoir des soucis de cohabitation avec les chouettes effraies (sachez qu’il existe des églises à chouettes et des églises à chauves-souris). Pourtant, au-delà des règles de prédation, les relations entre animaux sont aussi une question de tempéraments. « On m’a rapporté l’histoire d’une chouette qui s’est installée dans une église à chauves-souris et qui ne s’en préoccupe absolument pas », souffle le scientifique. Le monde de la nuit aurait-il ses raisons que le jour ignore ?
1. Groupe mammalogique breton.
2. Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.
3. Une zoonose est une maladie infectieuse qui est passée de l'animal à l’humain. Aucune preuve ne permet cependant aujourd’hui d’affirmer que la chauve-souris a transmis le virus du SARS-CoV-2 à l’humain.
4. Des terrains de chasse pour les chiroptères.
5. En Europe, les chats, les rats, les fouines, les martres ou encore les chouettes peuvent manger les chauves-souris mais aucune espèce ne s’est à proprement parler spécialisée dans cette chasse.
Des chercheurs bretons participent à un projet novateur, qui permettrait d’avoir une vision globale et détaillée de l’activité électrique du cerveau et constituerait un puissant outil pour la médecine.
Et si la coquille Saint-Jacques était une archive de l’environnement ? Une équipe brestoise s’intéresse à la dynamique passée du phytoplancton pouvant être révélée dans les stries de la coquille.
Diatomées, dinoflagellés, coccolithophoridés… ces microalgues qui dérivent avec le courant constituent le phytoplancton, vital pour l’équilibre de notre planète. À la base de la chaîne alimentaire, ces êtres vivants sont un important puits de carbone et produisent près de la moitié de l’oxygène sur Terre.
Souvent, à partir du printemps lorsque la température de l’eau et l’intensité lumineuse augmentent, ils peuvent se développer en très grandes quantités, formant des blooms, ou efflorescences. À la fin de ces périodes de forte activité, les microalgues produisent des composés collants agissant comme un ciment. Les cellules s’agglomèrent alors entre elles, formant des agrégats, appelés « neige marine », qui peuvent atteindre plusieurs centimètres.
Une équipe du Lemar1, à Brest, étudie comment ces dynamiques d’agrégats peuvent affecter la concentration de deux éléments chimiques, le baryum et le molybdène, présents dans la colonne d’eau et, a posteriori, dans les coquilles de mollusques. Valentin Siebert, docteur en écologie marine à l’UBO2, spécialiste de la coquille Saint-Jacques, étudie son rôle d’archive environnementale.
De la même façon que les arbres avec leurs cernes, les Saint-Jacques créent des stries de croissance journalière. Le biologiste explique avoir « analysé la composition chimique de chaque strie de coquilles prélevées en rade de Brest sur une période d’un an de croissance, de mars à octobre car la coquille ne grandit pas en hiver ».
Cette analyse chimique se focalise sur les variations de baryum et de molybdène dans la coquille car elles suivent respectivement les blooms de diatomées et la présence d’agrégats dans l’environnement. « Le baryum est retenu à la surface de la coque des diatomées, avant que ces microalgues soient consommées par les Saint-Jacques, précise Valentin Siebert. S’il y a un pic de baryum dans la coquille, c’est qu’il y a eu un pic de phytoplancton enrichi en baryum au même moment dans la colonne d’eau. Je m’intéresse alors, entre autres, au baryum incorporé dans la coquille des mollusques comme indicateur de la présence du phytoplancton. » L’étude, qui vient d’être publiée3, montre que les agrégats sont enrichis en molybdène et que leur ingestion serait à l’origine de l’augmentation des concentrations de ces éléments dans la coquille des Saint-Jacques.
Et pour affiner leur recherche, les scientifiques analysent aussi de très anciennes coquilles. « Des Saint-Jacques vieilles de 5 000 ans ont été retrouvées sur des sites archéologiques du Finistère. Les blooms de phytoplancton étaient-ils de la même intensité ou à la même période de l’année à cette époque ? », s’interroge le chercheur. La coquille Saint-Jacques serait donc une véritable fenêtre sur le passé !
1. Laboratoire des sciences de l’environnement marin.
2. Université de Bretagne Occidentale.
3. Dans la revue Estuarine, Coastal and Shelf Science.
À l’occasion de la Fête de la musique, Sciences Ouest a rencontré des scientifiques qui mettent au point un système automatique de décodage de partitions vieilles de plus de cent ans.